Une autre philosophie de la nature et de la ville ? : épisode • 4/4 du podcast Philosopher au Sud (Amérique Latine, Afrique, Caraïbe)

Image d'un quartier de la ville d'Ibadan, capitale de l'État d'Oyo située au sud-ouest du Nigeria
Image d'un quartier de la ville d'Ibadan, capitale de l'État d'Oyo située au sud-ouest du Nigeria ©Getty - Auteur inconnu
Image d'un quartier de la ville d'Ibadan, capitale de l'État d'Oyo située au sud-ouest du Nigeria ©Getty - Auteur inconnu
Image d'un quartier de la ville d'Ibadan, capitale de l'État d'Oyo située au sud-ouest du Nigeria ©Getty - Auteur inconnu
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À l'heure où l’agencement urbain et spatial devient un enjeu écologique et économique majeur dans le monde, quelles solutions venant d’Afrique permettent de repenser le rapport entretenu à la nature et à la ville ? Comment penser le développement urbain autrement que par une politique du béton ?

Avec
  • Émilie Guitard Anthropologue et chargée de recherche au CNRS dans le cadre du laboratoire Prodig
  • Marie-Yemta Moussanang Réalisatrice et productrice du podcast indépendant "Afrotopiques" mais aussi productrice du podcast de l’ENS “Modernités Africaines”
  • Sénamé Koffi Agbodjinou Architecte, anthropologue, il est à l'origine de la structure activiste “L’Africaine d’architecture”

Caraïbe, Afrique, Amérique latine : philosopher au Sud. Dans le quatrième et dernier épisode de cette série, Géraldine Muhlmann et ses invité.e.s se demandent comment l'Afrique nous invite à repenser le rapport entretenu à la nature et à la ville.

Le nombre d'Africains, qui s'élève actuellement à 1,2 milliards, devrait doubler d'ici 2050, puis tripler d'ici 2100. Au sein de cette croissance démographique annoncée et spectaculaire, la population urbaine devrait être particulièrement concernée. Ainsi, l'OCDE évoque une croissance de 21 millions de personnes par an dans les villes africaines.

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Cependant, derrière l'enjeu de l'opposition entre la ville et la nature se dissimule une question ancienne : celle du développement, et de ses modalités. Dans ce domaine, il est bien possible qu'il y ait deux grandes options. L'une qui n'hésitera pas à puiser dans les ressources naturelles, et une autre, qui fera au contraire valoir tant bien que mal une approche plus écologique. A cet égard, l'Afrique ne fait pas vraiment exception. Ce sont les mêmes dilemmes qu'ont rencontré d'autres pays et d'autres Suds.

Une bifurcation écologique

Les philosophes seront-ils capables d'empêcher la logique de marché de s'emparer des minerais des sous-sols africains, afin de construire un développement plus écologique ? Pour Marie-Yempta Moussanang, l'enjeu principal est effectivement la "bifurcation" : "développer des trajectoires de vie collective qui ne s'appuient pas sur l'extraction intensive des ressources naturelles". Que ce soit dans les pays africains ou ailleurs, il faut imaginer et mettre en place "d'autres manières d'habiter la planète". Mais les philosophes ne sont pas seuls à l'œuvre : il s'agit surtout d'un "travail collectif". Les profils hybrides, les approches alliant "à la fois la recherche et les expérimentations de terrain", réussissent à "articuler la recherche critique et en même temps l'innovation", laquelle peut s'appuyer sur des "technologies très anciennes".

La ville, outil d'organisation sociale

Comme le rappelle Sénamé Koffi Agbodjinou, la thèse des anthropologues anarchistes consiste à identifier la ville à "un grand outil de contrôle, une sorte de grande logique de grille", mise en place afin d'organiser des grands groupes et de lutter contre "les marginaux, les rebelles, les nomades", en les regroupant au sein d'une sorte de "paix partagée, où chacun abandonne ce qui fait son originalité". Mais il souligne qu'avant d'être ce "grand outil d'organisation sociale", la ville est le premier effet d'un mouvement philosophique occidental naturaliste. "L'occident a fait cette chose extraordinaire, qui consiste à théoriser que l'homme pouvait s'extraire de la nature". Une idée contre-intuitive pour n'importe quelle autre population, mais dont la ville a été la "cristallisation".

Les apports de l'écologie urbaine

L'anthropologue Emilie Guitard remarque que la ville comme lieu de la culture et du rejet de la nature est effectivement une idée largement explorée en anthropologie. Mais de récents travaux en "écologie urbaine" ont montré qu'ailleurs dans le monde, y compris en Occident et en Asie, des éléments permettent de nuancer cette opposition. Il y a en réalité toujours eu "des éléments naturels en ville, qui faisaient partie prenante de l'identité des citadins et de leur quotidien". L'Afrique n'échappe pas à ce constat. En particulier dans les régions du sud-ouest de Nigéria, des zones urbanisées dès le XIIe siècle, on retrace "la présence de bois sacrés, qui avaient des fonctions politico-religieuses importante pour le fonctionnement de la ville, et plus largement de la société".

L'émission est à écouter dans son entièreté en cliquant sur le haut de la page.

Pour en parler

Marie-Yemta Moussanang, réalisatrice et productrice du podcast indépendant Afrotopiques, un podcast d’idées, qui prend la forme d’une série d’entretiens avec des penseurs, des chercheurs, des militants de terrain (du continent africain, de la diaspora, et au-delà) qui outillent la jeunesse et permettent de comprendre les grands enjeux contemporains, depuis la perspective des Suds en général, et des mondes africains en particulier. Elle est aussi la productrice du podcast de l’ENS “Modernités Africaines” qui explore la manière dont le continent africain se transforme et se relie au reste du monde. Chaque épisode aborde une question particulière (Comment s'est construit le modèle économique des Etats africains ? Pourquoi les villes s'étalent autant? etc.) et propose un dialogue entre des chercheurs et chercheuses en sciences sociales.

Emilie Guitard, anthropologue et chargée de recherche au CNRS dans le cadre du laboratoire Prodig. Elle documente et interroge les relations à la nature dans plusieurs villes d’Afrique subsaharienne. Après avoir travaillé sur les liens entre gestion des déchets et relations de pouvoir dans deux villes au nord du Cameroun, puis sur les perceptions des changements environnementaux des habitants d'une ville minière à l'ouest du Zimbabwe, elle a entrepris depuis 2016 des recherches sur les savoirs sur et les attachements au végétal dans la ville d'Ibadan, au sud-ouest du Nigeria. Elle associe ainsi enquête ethnographique, méthodes issues de l'ethnoscience et collaborations artistiques sur le terrain pour appréhender les savoirs locaux sur la biodiversité urbaines, le rôle de la nature dans la définition des identités citadines ou encore la place accordée au végétal dans la gouvernance municipale à l'ère de la "ville durable". Parallèlement enfin, elle a développé un intérêt pour les imaginaires africains et afro-descendants exprimés dans les productions artistiques et culturelles (cinéma, littérature, etc.), pensant notamment les villes africaines dans le futur.

Parmi ses travaux de recherche, on peut mentionner :

  • Le programme de recherche financé par l’ANR qu'elle coordonne actuellement, INFRAPATRI, portant sur les “Savoirs et attachements au végétal urbain en Afrique subsaharienne (Bénin, Cameroun, Nigeria, Sénégal) : identification et production d’un infrapatrimoine”.
  • La vidéo de la table-ronde sur “Nature, environnement et santé” à laquelle elle a participé en juin 2022 dans le cadre du colloque “Modernités africaines” organisé par l’ENS.
  • L’épisode du podcast “Modernités africaines” de Marie-Yemta Moussanang, “Un continent urbain”, dans lequel elle intervient avec Armelle Choplin.

Sénamé Koffi Agbodjinou, architecte et anthropologue. Il a monté la structure activiste “L’Africaine d’architecture” dans le but de promouvoir et documenter une approche originale des questions d’architecture, d’urbanisme et de design en lien avec l’Afrique.

Références sonores

  • Extrait du magazine TV "L'effet papillon" sur l'extraction du lithium, Canal +, 2008
  • Archive de de Vincent Bolloré à l’occasion des Jeux Africains de Brazzaville : “Lancement de Bluecongo", 2015
  • Archive de Daiara Tukano, militante d'Amazonie, Mediapart, 2019
  • Archive d'Armelle Choplin,  Modernités Africaines, podcast de l’Ecole normale supérieure, réalisé par Marie-Yemta Moussanang.
  • Chanson de fin d'émission : Silvio Rodriguez**,** "Como Esperando Abril" dans l'album Dias y Flores (1975)

Le Pourquoi du comment : philosophie

Toutes les chroniques de Frédéric Worms sont à écouter ici.

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