Voix d'auteurs avec la SACD : "Hélène après la chute" de Simon Abkarian

Simon Abkarian lors du festival 'Etonnants Voyageurs' le 4 juin 2017 à Saint-Malo, France
Simon Abkarian lors du festival 'Etonnants Voyageurs' le 4 juin 2017 à Saint-Malo, France ©Getty - Raphaël Gaillarde
Simon Abkarian lors du festival 'Etonnants Voyageurs' le 4 juin 2017 à Saint-Malo, France ©Getty - Raphaël Gaillarde
Simon Abkarian lors du festival 'Etonnants Voyageurs' le 4 juin 2017 à Saint-Malo, France ©Getty - Raphaël Gaillarde
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Ce qui m’a toujours ému dans les tragédies, ce sont ces moments fatidiques où le temps s’arrête et où les personnages qui sont censés être l’un à l’autre, ne savent plus se reconnaître.

Ce qui m’a toujours ému dans les tragédies, ce sont ces moments fatidiques où le temps s’arrête et où les personnages qui sont censés être l’un à l’autre, ne savent plus se reconnaître.  Ils ne savent plus croire ni au retour ni à la résurrection de l’autre. Malgré leurs yeux et leurs oreilles, ils nient l’évidence même de la présence et exigent autre chose qu’un corps. Ce qu’ils veulent c’est un souvenir venu du fond de leurs mémoires, un récit qui saurait déjouer les doutes les plus coriaces, un secret qui les lierait dans la nuit de leurs étreintes perdues. C’est pour ces retrouvailles tant redoutées que j’ai écrit cette pièce. C’est pour ce moment fatidique où deux âmes tremblantes sont livrées l’une à l’autre. Une pâture où il n’y a ni à gagner ni à perdre. Dans cette nuit qui n’en finit pas de les engloutir, elle et il se jaugent comme la louve son loup. Ils ne se croient plus, ne se reconnaissent plus. Pourtant dans un jadis ils furent l’une et l’autre à la même forêt à la même lune à la même nuit. Il ne s’agit pas ici d’une altercation psychologique. Ce n’est pas un règlement de compte domestique qui on le sait mettrait Hélène au pilori, mais d’un combat entre deux âmes meurtries qui s’affrontent en tombant. Lorsque Hélène et Ménélas se retrouvent, ils sont déjà défaits. Quand ils se revoient, la terre se dérobe et ensemble ils perdent pieds. Non pas parce qu’ils s’aiment ou se redoutent, mais parce qu’ils se savent perdus. Ils savent qu’ils sont l’un et l’autre au perdu. L’abîme est leur arène incontournable, inévitable. C’est dans une chute sans fin qu’elle et lui doivent tomber. Les ailes repousseront- elles avant l’impact ? Qu’importe.  L’idée de l’abîme est admise par les deux combattants. Elle est leur grandeur et fait partie intégrante de ce corps à corps héroïque et érotique malgré lui. Il n’y a ni tort ni raison ni haut ni bas. Le sens même est annulé par ce plongeon dans le néant. Ces deux lutteurs malades de questions ne veulent pas guérir sans comprendre la fièvre qui les consume. Plus le temps de se mentir donc, de contourner l’écueil, de fuir le combat. La parole est acérée et les mots rangés en ordre de bataille s’affrontent sans merci. Devant les oreilles de chacun la méfiance monte la garde. Leurs poitrines dissimulent les souffles trop courts dans la musique et les silences épais comme les murailles d’une cité couchée sur son flanc, tentent de respirer encore. 

Simon Abkarian

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Avec Louise Chevillotte et Nicolas Gonzales
Assistante à la réalisation Claire Chaineaux
Equipe : Pierrick Charles, Bastien Varigault, Nico Depasgraf (sono)
Réalisation Baptiste Guiton Commande d’écriture pour France Culture et la SACD dans le cadre de la manifestation Voix d’auteurs
Ce texte inédit sera publié aux éditions Actes Sud. 

D’origine arménienne, Simon Abkarian est né dans le Val-d’Oise en 1962. Après une enfance au Liban, il revient à Paris en 1977 puis part à Los Angeles où intègre une compagnie théâtrale arménienne sous la direction de Gérald Papazian. De retour en France en 1985, il entre comme acteur au Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine jusqu’en 1993. Au cinéma, il décroche dès 1989 ses premiers rôles auprès de Cédric Klapisch et travaille dès lors avec de nombreux réalisateurs, notamment Atom Egoyan ou Shlomi et Ronit Elkabetz (avec la trilogie Prendre femme, Les Sept jours et Le Procès de Viviane Amsalem). En 1998, il fonde la compagnie Tera avec laquelle il met en scène ses propres pièces. Le Syndicat de la critique a attribué à sa pièce Pénélope, ô Pénélope (Actes Sud-Papiers, 2009) le Grand Prix de la meilleure création française 2008. Il est également l’auteur des pièces Ménélas rapsodie, Le dernier Jour du jeûne et L’Envol des cigognes, toutes publiées chez Actes Sud-Papiers.