A quoi sert encore la psychanalyse ?

Jacques Lacan (1967) et Sigmund Freud (1920)
Jacques Lacan (1967) et Sigmund Freud (1920) ©Getty - G. Botti(Gamma-Rapho)/Time Life Pictures
Jacques Lacan (1967) et Sigmund Freud (1920) ©Getty - G. Botti(Gamma-Rapho)/Time Life Pictures
Jacques Lacan (1967) et Sigmund Freud (1920) ©Getty - G. Botti(Gamma-Rapho)/Time Life Pictures
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Ce soir comme chaque semaine deux essais sous les feux de la critique pour une plongée au cœur de la psychanalyse : Bernard Lahire avec « L’interprétation sociologique des rêves » (La Découverte) et Clotilde Leguil, « « Je » une traversée des identités » (PUF).

Avec

La psychanalyse. Une discipline qui n’occupe plus la place qu’elle a pu avoir dans le champ des sciences sociales… deux chercheurs se proposent d’y remédier. Bernard Lahire d’abord avec L’interprétation sociologique des rêves publié à la Découverte, il porte une entreprise ambitieuse : élaborer une théorie générale de l’expression onirique. L’autre essai dont nous parlons ce soir est signé de la philosophe Clotilde Leguil, « Je » une traversée des identités publié aux PUF est une réflexion sur ce que peut la psychanalyse à l’heure de la mondialisation et des réseaux sociaux.

Bernard Lahire  -  L’interprétation sociologique des rêves

C’est une entreprise ambitieuse qui a demandé deux décennies de recherches : il s’agit de montrer comment un événement aussi intime et individuel que le rêve peut être un objet d’étude pour le sociologue. Bernard Lahire raconte l’élément déclencheur : alors qu’il est à l’université de Berkeley en 1997 il découvre l’existence de tout un travail critique sur Sigmund Freud. C’est une révélation, il n’existe aucune inhibition aux Etats-Unis sur les travaux psychanalytiques comme cela peut être le cas en France ou plus largement en Europe. 

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Mais s’attaquer en sociologue aux enseignements de l’approche psychanalytique n’a rien d’évident. Bernard Lahire doit entièrement construire sa méthode, récolter son matériaux. Car comme il le dit joliment dans son introduction, « lorsque les enquêtés s’endorment, les sociologues ferment les yeux ». Le sommeil qui occupe un tiers du temps est négligé. Pourtant les rêves qui accompagnent ce sommeil nous disent quelque chose des individus et de leur société, l’imaginaire est tramé par l’expérience sociale des individus.

Après s’être attaqué à Pierre Bourdieu il y a quelques années, Bernard Lahire déboulonne donc une autre statue en la personne de Sigmund Freud… l’entreprise iconoclaste consiste à créer une théorie de l’expression onirique qui soit fondée scientifiquement. 

C’est un livre impressionnant. C’est un livre ambitieux, ambitieux il existe donc une ambiguïté sur le terme : à la fois qui ouvre des portes nouvelles mais aussi qui montre le côté prétentieux à vouloir faire une énorme rupture dans les sciences […] La déconstruction de la psychanalyse peut être discutée […] Il suggère qu’une vraie interprétation scientifique du rêve est possible et ce n’est pas rien. (Jean-Marie Durand)

Ce qui court fondamentalement dans ce livre c’est : qu’est-ce qu’une théorie ? C’est avec ce levier là qu’il critique certains aspects théoriques de Freud. […] C’est un travail critique osé. (Catherine Portevin)

Clotilde Leguil - "Je " Une traversée des identités

Deuxième temps de l’émission, après Freud, Lacan.

« Je » une traversée des identités est signé de la philosophe et psychanalyste Clotilde Leguil, membre de l’Ecole de la cause freudienne et de l’Association mondiale de psychanalyse. Professeur au département de psychanalyse de l’université Paris 8 Saint-Denis.

Dans cet essai, elle s’interroge sur ce que peut encore la psychanalyse à l’heure des réseaux sociaux. La mise en scène de soi, les selfies, l’individualisme… sont autant de preuves qui s’étalent chaque jour d’une hypertrophie du moi. Mais paradoxalement, cette évolution conjointe de la mondialisation et des progrès numériques efface progressivement le rapport subjectif à soi. « Je » est devenu l’ennemi se désole Clotile Leguil au profit d’un « narcissisme de masse » qui fait l’objet ici d’une déconstruction minutieuse. 

De l’affirmation d’un « je » totalitaire à celle d’un « je » quantifiable et quantifié… l’auteur nous emmène dans une réflexion théorique exigente, à l’aide d’exemples tirés de la littérature et du cinéma, ça permet de souffler un peu. Au cœur de ce mal contemporain on retrouve Lacan et son idée du Plus-de-jouir. Le psychanalyste français est mobilisé pour comprendre ce qui se joue aujourd’hui dans l’attitude compulsive que chacun de nous peut avoir dans son utilisation par exemple des réseaux sociaux.

La thèse est assez forte. Ce que je trouve  de plus intéressant c’est comment Lacan considère le Je. Un Je sans identité, la revendication d’un Je non pas sacralisé mais un Je qui doute, qui doute de lui et qui doutera toujours de lui, c’est une idée très intéressante, comme son rapprochement à la fin de Lacan et Descartes. (Catherine Portevin)

Ce que je trouve intéressant dans ce livre […] c’est qu’il s’inscrit dans un moment un peu particulier car la psychanalyse aujourd’hui et depuis 20 ans fait l’objet d’attaques un peu fortes et qui viennent de tous côtés. […] On reproche à la psychanalyse son manque de scientificité. (Jean-Marie Durand)

L' instant critique 

Catherine Portevin nous propose le Festival Hors Piste au Centre Pompidou à Paris   " La Nation et ses fictions" poursuit son investigation autour de sujets d’actualité et de leurs échos dans le champ de l’art contemporain et de la pensée, jusqu'au  4 février 2018  et Jean-Marie Durand met l'accent sur l'exposition du collectif Dumb Type au Centre Pompidou de Metz, première exposition monographique de cette ampleur dédiée à ce collectif  d’artistes en France. Formé en 1984, Dumb Type rassemble à ses débuts  une quinzaine d’étudiants du Kyoto City Art College, issus de différents champs : plasticiens, vidéastes, chorégraphes et  performeurs, mais aussi architectes, graphistes, ingénieurs du son et  informaticiens. Vous pourrez la voir jusqu'au 18 mai 2018.  

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