Anthropophagie et mythes carnassiers

Photo du dessin datant de 1819 "Scène de cannibalisme sur le Radeau de la Méduse" du peintre Géricault.
Photo du dessin datant de 1819 "Scène de cannibalisme sur le Radeau de la Méduse" du peintre Géricault. ©AFP - François Guillot
Photo du dessin datant de 1819 "Scène de cannibalisme sur le Radeau de la Méduse" du peintre Géricault. ©AFP - François Guillot
Photo du dessin datant de 1819 "Scène de cannibalisme sur le Radeau de la Méduse" du peintre Géricault. ©AFP - François Guillot
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Ce soir comme chaque semaine deux essais sous les feux de la critique : "Du goût de l’autre : fragment d’un discours cannibale" publié au Seuil par l’anthropologue Mondher Kilani et "Chiens" de Mark Alizart paru aux PUF.

Avec

Deux livres pour repenser de manière radicale ce qu'est  l’Homme… avec un grand « H ». Dans Du goût de l’autre : fragment d’un discours cannibale publié au Seuil, l’anthropologue, Mondher Kilani, interroge la représentation de l’autre, et donc de soi, qui se niche dans le mythe du cannibalisme, car oui il faut bien parler de mythe. Dans une perspective très différente mais qui puise aussi au plus profond de l’histoire, le philosophe Mark Alizart propose dans Chiens, aux Presses Universitaires de France, une idée radicale… le meilleur ami de l’homme est aussi son créateur.

Mondher Kilani -Du Goût de l’autre, fragments d’un discours cannibale 

Mondher Kilani est anthropologue, professeur à l’université de Lausanne. Ses terrains sont divers, de la Papouasie-Nouvelle Guinée aux Alpes valaisannes, de l’oasis de Gafsa en Tunisie à la Malaisie. C’est aussi un chercheur qui mène une réflexion sur sa discipline, qui connait un renouveau depuis quelques années, loin des biais culturels et d’un certain ethnocentrisme. Son projet tel qu’il le décrivait dans Pour un Universalisme Critique, sorti en 2014 aux éditions de la Découverte: « Plus qu’hier, peut-être, nous vivons dans un monde pluriel où il faut élaborer une « voix universelle » qui donne sa place à ma voix tout en reconnaissant celle des autres, bref qui produit du «commun ».

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C’est donc un anthropologue engagé qui poursuit son œuvre dans ce dernier ouvrage en s’attaquant à un totem, si j’ose dire, de l’anthropologie : le cannibalisme. Avec une idée forte, le cannibalisme n’existe pas… ou plutôt s’il y a bien des cas où des hommes mangent la chair d’autres hommes, les frontières en paraissent « si floues qu’il en devient indéfinissable comme pratique constitué » pour reprendre les propos de Claude Lévy Strauss cité par Mondher Kilani.

Dans cet essai, il va donc s’atteler à déconstruire ce qu’on appelle le cannibalisme, en montrant comment cette notion nous renseigne d’abord sur nous-mêmes, occidentaux… la peur d’être mangé rejoint le fantasme d’assimiler l’autre comme le montre la production littéraire ou plus récemment les films abondamment utilisés par l’anthropologue. Pour finalement montrer que le monstre ne réside pas forcément chez les sauvages, mais au sein de nos propres sociétés qui s’alimentent de l’autre en l’exploitant, en le réifiant, en le surveillant… il parle ainsi dans un des derniers chapitres de « capitalisme zombie ».
 

Mark Alizart - Chiens 

Mark Alizart est philosophe, il est l’auteur déjà dans cette collection Perspective Critique, aux PUF, de Pop Théologie et Informatique Céleste… il s’interrogeait alors sur la rôle de la foi et de la Réforme protestante à l’heure de la postmodernité et de l’informatique. Dans ce nouvel essai, il mobilise encore ses réflexions sur les fondements religieux et mythologiques de la culture, mais cette fois pour essayer de percer un autre mystère : celui de la joie inconditionnelle des chiens et de la réaction ambiguë, amour-haine, qu’elle provoque chez l’homme.

Sa réflexion a pour point de départ son expérience personnelle, il explique qu’il a lui-même eu un compagnon à quatre pattes qui l’a profondément transformé. Il est frappé par deux traits caractéristiques : ils sont à la fois dur au mal et font preuve d’une extraordinaire délicatesse. Et pourtant, le meilleur ami de l’homme est mal considéré, la langue regorge d’expressions comme « une vie de chien », un « temps de chien », « mourir comme un chien » qui place l’animal paradoxalement tout en bas de l’échelle. D’ailleurs s’amuse Mark Alizart, aucun pays ne l’a choisi comme emblème… la France lui a même préféré le coq, c’est dire.

Il engage une réflexion qui l’amène à réexplorer les mythes, on apprend qu’Œdipe était en fait un chien, mais aussi à découvrir le rôle psychopompe du chien, passeur entre la vie et la mort dans de nombreuses traditions, et finalement à se pencher sur les production artistiques, pas de culture qui ne porte la patte des chiens.

L'instant critique

Catherine Portevin nous emmène au Musée du Jeu de Paume pour découvrir l'exposition rétrospective de l'américaine Susan Meiselas "Médiations", qui réunit une sélection d’œuvres des années 1970 à nos jours, à voir jusqu'au 20 mai prochain.  Joseph Confavreux, quant à lui nous propose un détour par la galerie Maison Rouge,  d'Antoine de Galbert pour découvrir Ceija Stojka – Une artiste Rom dans le siècle, jusqu'au 20 mai prochain.

Par un billet couplé vous pourrez également voir l'exposition "Mondes Tsiganes. La fabrique des images" au Musée de l"immigration.  Vous pourrez également assister à une lecture théâtrale gratuite (inscription demandée), le 4 avril prochain, d'un de ses livres  : Je rêve que je vis ? Ma vie à Bergen Belsen qui est  un  document exceptionnel. Ceija Stojka raconte les quatre mois passés dans  cet enfer, les conditions abominables auxquelles elle et sa famille furent confrontées.

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