Aux marges du politique

ZAD de Notre-Dame-des-Landes, juillet 2016
ZAD de Notre-Dame-des-Landes, juillet 2016 ©Getty - Jean-Marie HOSATTE / Contributeur
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ZAD de Notre-Dame-des-Landes, juillet 2016 ©Getty - Jean-Marie HOSATTE / Contributeur
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Ce soir comme chaque semaine deux essais sous les feux de la critique : "L’âge productiviste" de Serge Audier (La Découverte) et "Les nouveaux anarchistes" de Francis Dupuis Déri (Textuel).

Avec

Deux livres qui interrogent les marges politiques. Dans L’Âge productiviste, publié aux éditions La Découverte, le philosophe Serge Audier se fait historien des idées, pour essayer de comprendre ce qui empêche les forces politiques, quelles qu’elles soient, de véritablement prendre en charge le défi écologique. Au fil de son enquête intellectuelle il propose une fresque inédite et largement méconnue de deux siècles de prises de positions et de programmes en matière environnementale. 

De la victoire du productivisme, à l’altermondialisme… le second essai dont nous allons parler ce soir est signé du politiste québécois Francis Dupuis-Déri, et s’intitule Les Nouveaux anarchistes publié aux éditions Textuel. Pour un livre qui est aussi un essai de militant, au cœur de l’expérience anarchiste visible, mais méconnue, dont il décortique le fonctionnement, de manifestations en campements autogérés.

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Serge Audier - L’âge productiviste : hégémonie prométhéenne, brèches et alternatives écologiques

Je vous propose de commencer par le livre de Serge Audier, L’Âge productiviste : hégémonie prométhéenne, brèches et alternatives écologiques… un titre long pour un livre somme, publié aux éditions la Découverte. L’auteur est philosophe, maître de conférence à l’université Paris-Sorbonne. Il reprend ici un travail d’historien des idées initié dans La Société écologique et ses ennemis sorti en 2017 et récompensé du prix de la Fondation pour l’écologie politique. Dans cet ouvrage, il montrait que le souci écologique est bien plus ancien qu’on ne le pense, que des esprits scientifiques à la sensibilité politique et sociale émancipatrice se sont penché depuis les Lumières sur la lourde responsabilité de l’homme dans la destruction de la planète, et ont tenter de dessiner autre chose.

Mais si cette pensée a existé, elle n’est pas parvenue à percer le mur de l’indifférence et du rejet. Ce livre se propose d’expliquer pourquoi une « société écologique » n’est jamais parvenue à émerger. La raison peut sembler simple, « parce que des forces considérables se sont opposées à sa conception et à sa réalisation ». Mais le livre ne ferait pas 820 pages s’il se contentait de pointer du doigt la responsabilité du capitalisme et du néolibéralisme dans la destruction de la planète. Serge Audier ne les néglige pas, mais il se tourne aussi, et c’est bien plus inattendu, vers la responsabilité du mouvement progressiste dans son ensemble, et notamment du socialisme. 

L’Âge productiviste propose donc de remonter aux sources de l’écologie politique, de ne rien cacher de sa complexité tant intellectuelle que politique, éviter le « démon du récit monolithique » pour finalement essayer de comprendre comment certains précurseurs de l’écologie ont réussi à percer des brèches.

C'est un travail exceptionnel, passionnant (...) Serge Audier remonte l'histoire intellectuelle sur plus de deux siècles, qui a vu la passion productiviste emporter tout sur son passage et qui a mené à contrario à l'échec de toutes les tentatives et alternatives écologiques qui ont pu exister. (Sonya Faure)

C'est un ouvrage vraiment passionnant ne serait-ce que par l'ampleur des références mobilisées. Il nous fait découvrir des auteurs oubliés  (...)Tous les auteurs de l'Ecole de Francfort sont mobilisés, de Marcuse à Axel Honneth... l'écologie sociale de Murray Bookchin. Sa critique du productivisme elle est d'abord ciblée sur toute une pensée  de droite néolibérale, la pensée de la société du Mont-Pèlerin de Hayek (...) Ils étaient dans dans un écologisme viscéral mais ce qui porte Serge Audier c'est sa réflexion sur les conditions d'une renaisssance écologique de la gauche et c'est justement cette ambition qui l'amène à réexaminer tous les grands courants de la gauche. (Laurent Etre)

Francis Dupuis Déri - Les nouveaux anarchistes 

Deuxième temps de l’émission, je vous propose de nous pencher maintenant sur l’essai de Francis Dupuis-Déri, Les nouveaux anarchistes : de l’altermondialisme au zadisme dans la collection « Petite encyclopédie critique » des éditions Textuel. L’auteur est professeur de science politique et d’études féministes à l’UQAM (L’Université du Québec à Montréal) mais il a aussi milité dans plusieurs groupes de sensibilité anarchistes. Il a par exemple, comme il le raconte d’ailleurs dans ce livre, été un membre actif de la Convergence des luttes anticapitaliste (CLAC), ou du Village alternatif anticapitaliste et antiguerre (VAAAG).

C’est donc autant en militant – ou plutôt amilitant on reviendra sur ce terme propre à ces nouveaux anarchisme – qu’en tant que chercheur qu’il propose ici un rapide tour d’horizon de ce à quoi ressemblent les pratiques anarchistes… nourri de ses observations et de ses expériences aux sommets du G8 d’Evian en 2003, au G20 de Toronto en 2010, ou encore au G7 de Québec en 2018… 

Francis Dupuis-Déri met en évidence la filiation qui existe entre les pratiques anarchistes et les expériences altermondialistes… pour montrer que malgré l’apparence nébuleuse, on peut trouver des combats, des modes d’action partagés. Il en décortique trois : les groupes d’affinités, les clowns rebelles et les campements militants. Souvent associés aux casseurs, on le voit aussi chaque samedi, ces mouvements recèlent aussi un potentiel politique que l’auteur cherche à mettre en avant.

Ce qui ressort du livre de Francis Dupuy Déri c'est la promotion d'un anarchisme extérieur au monde du travail. Il range même le travail du côté  de la sphère privée au côté des loisirs... (...) C'est un anarchisme tourné les manifestations festives. Mais quel est le degré d'efficience de ces pratiques ? (Laurent Etre)

C'est un petit précis sur l'anarchisme pour ceux qui n'y connaissent rien ... Il est bien fait, extrêmement lisible, on apprend des choses. IL prend le contre-pied des idées préconçues : les anarchistes sont violents (...) ils n'ont pas de stratégie (...). C'est le livre d'un homme lui même engagé dans le mouvement libertaire. (Sonya Faure) 

Le choix musical : "California" de Childish Gambino (album Awaken my love)

L'instant critique

Laurent Être nous propose de regarder une série documentaire de Philippe Simay, réalisé par David Perrier sur Arte intitulé "Habiter le monde". Le philosophe Philippe Simay part à la découverte des habitats les plus singuliers de la planète. Dix documentaires de 27 minutes que vous pouvez regarder en replay jusqu'au 5 avril 2019. Sonya Faure quant à elle s'enthousiasme pour un anarchiste peu ordinaire et ses amis dans la série de Wilfrid Lupano dessinée par Paul Cauuet  et parue chez Dargaud Les vieux fourneaux. Le volume 5 "Bon pour l'asile" est sorti en novembre dernier.

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