Ce soir comme chaque semaine deux essais sous les feux de la critique : "Avis d’expulsion : enquête sur l'exploitation de la pauvreté urbaine" de Mattew Desmond (LUX), "De cendres et de braises" de Manon Ott (Anamosa).
- Laurent Etre Journaliste Culture et Savoirs à l’Humanité
- Catherine Portevin Chef de la rubrique livres pour Philosophie Magazine
Deux ouvrages pour une plongée au plus profond des ghettos urbains. Du côté des États-Unis d’abord avec la traduction d’un essai qui a reçu le prix Pulitzer en 2017 : Avis d’expulsions du sociologue Matthew Desmond est publié par les éditions Lux. L’auteur propose ici une ethnographie des expropriations locatives, fruit d’une enquête menée à Milwaukee qui permet de montrer le rôle fondamental, et trop souvent négligé selon l’auteur, du logement dans la création de la pauvreté. L’observation participante et l’approche documentaire sont aussi au cœur de la démarche de Manon Ott qui signe De cendre et de braise publié chez Anamosa. On est de retour en France, du côté des Mureaux pour une approche en deux temps. D’abord une histoire ouvrière, de mobilisation et d’immigration sur ce territoire construit autour de l’usine Renault à Flins ; puis les mutations du travail, des sociabilités, des mobilisations, du peuplement propres à ce qu’on appelle les Banlieues. Là aussi on retrouve l’importance du témoignage, des destins individuelles, des voix qu’on n’écoute que trop rarement.
Mattew Desmond - Avis d’expulsion : enquête sur l'exploitation de la pauvreté urbaine
Je vous propose de commencer par le livre de Matthew Desmond, Avis d’expulsion : enquête sur l’exploitation de la pauvreté urbaine, publié par les éditions Lux dans une traduction de Paulin Dardel. Je le disais cet essai a été couronné de nombreux prix, dont le prestigieux Pulitzer de l’essai en 2017, mais aussi désigné cette année-là comme l’un des meilleurs livres de non fiction par le Président Barack Obama, le New York Times Book Review, le Boston Globe, le Washington Post, NPR, le New Yorker… et bien d’autres. C’est que le travail mené par ce sociologue américain, professeur à Princeton, met le doigt sur une question qui est au cœur des réflexions sur les inégalités, surtout depuis la crise des subprimes : le rôle fondamental du logement dans la création de pauvreté.
Cela peut sembler évident, pourtant rappelle Matthew Desmond en introduction de son livre, elle est rarement traitée en tant que telle par les chercheurs… qui se concentrent plutôt sur le travail, l’assistance publique, l’incarcération de masses. Des enjeux certes importants mais insuffisants : tous les habitants des quartiers sinistrés ne sont pas forcément touchés par ces questions, mais ils ont presque tous un propriétaire. C’est cette relation entre locataires et propriétaire qui intéresse notre auteur, plongé pendant plusieurs années dans le quotidiens de huit familles au cœur de Milwaukee.
La plus grande ville du Wisconsin a été l’épicentre de la désindustralisation dans les années 80, et dans les années 90 de ce qu’on a appelé la « croisade contre l’aide sociale ». Les populations les plus pauvres, singulièrement les noirs américains, se sont retrouvés jetés du système de l’habitat social dans les bras de bailleurs privés. Contraints de consacrés parfois jusqu’à 70% de leur revenu au logement, ils entrent dans une spirale de précarisation et d’expulsion que Matthew Desmond nous décrit de l’intérieur.
Après des difficultés de lecture, je me suis laissée prendre par ce récit qui est un récit extraordinaire et surtout qui est une enquête fouillée. (Catherine Portevin)
Ce qui fait la force du propos de Matthew Desmond c'est la densité humaine de son ouvrage. C'est un propos très incarné avec de nombreux personnages, même si moi aussi j'ai été désarçonné par son style et en temps même par son goût pour l'ethnographie [...] . Ce livre m'a fait penser au livre de Jack London paru en 1803 Le peuple d'en bas. (Laurent Etre)
Manon Ott - De cendres et de braises
Deuxième temps de l’émission, nous nous intéressons maintenant au livre de Manon Ott, De cendres et de braises publié aux éditions Anamosa. L’auteure est chercheuse et enseignante en sciences sociales et en cinéma, mais aussi cinéaste. Cet essai est d’ailleurs le fruit d’un double projet de recherche et de film, mené conjointement avec Grégory Cohen. Le film qui porte le même titre "De cendres et de braises" sort mercredi prochain 25 septembre.
Le livre rend compte de cette double expérience, en proposant une lecture recto-verso. La face A sous-titrée « Voix et histoires d’une banlieue populaire », tisse la « grande histoire », avec la « petite », celle des gens, en suivant le fil des rencontres de l’auteur avec les habitants des Mureaux. Des rencontres mises en perspective par la connaissance de l’histoire ouvrière et de l’immigration, des luttes et de la question sociale. Comment s’est constitué ce territoire qu’on appelle la Banlieue… et sa population dont le « jeune de banlieue » est devenu l’archétype ? C’est pour apporter une réponse plus fine, plus complexe à cette question trop souvent pourvoyeuse de clichés que Manon Ott écrit et film aux Mureaux.
Comme Matthew Desmond, elle choisit la méthode de l’observation participante, s’installe sur place et décide de donner la parole à ceux qu’on n’entend que trop peu… qui sont parlés plus qu’ils ne parlent. Car ces habitants, comme ceux d’autres banlieues populaires, et les lieux qu’ils habitent ont progressivement été déconnectés de leur histoire sociale. Il s’agit donc de repolitiser le regard.
Entre le film (magnifiquement appuyé pour être beau -ce qui peut éventuellement me gêner-) avec une forte esthétisation de ce film en noir et blanc et des photos également en noir et blanc pour le livre magnifiquement édité [...] il y a au moins une réponse au discours sur les banlieues qui est : on va faire quelque chose de beau ! (Catherine Portevin)
Manon Ott crée les conditions avec son film du surgissement de la parole alternative et ça donne des moments forts [...] Derrière le récit très subjectif des personnages se profile un peuple qui se cherche à tâtons qui cherche à se produire comme sujet et qui ne peut pas y parvenir nécessairement. Et c'est peut-être ça la démocratie. Je trouve très fort de partir de ces questions des banlieues pour arriver à cette haute vision de de la démocratie. (Laurent Etre)
>>> Lana Del Rey - Doin’ Time (album Norman Fucking Rockwell)
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
L'instant critique
Catherine Portevin nous propose de nous rendre au théâtre des Bouffes du Nord jusqu'au 2 octobre pour voir Les naufragés de Patrick Declerck et Emmanuel Meirieu. Patrick Declerck, psychanalyste, a suivi pendant plus de quinze ans les clochards de Paris. Il a ouvert au Centre d'Accueil et de Soins Hospitalier de Nanterre la première consultation d'écoute destinée aux SDF. De cette expérience, il a tiré son livre Les Naufragés. Laurent Etre nous conseille une collection documentaire "On a voulu voir..."( 6 x 52 minutes) diffusée sur France 3 à 23h05 depuis le 9 septembre et ce jusqu'au 14 octobre 2019. Il existe en France des villes mal aimées, des lieux qu’on traverse sur la route des vacances, sans jamais s’arrêter. Il s'agit ici de visiter six villes : Vierzon, Maubeuge, Saint-Brieuc, Draguignan, Alès et Alençon pour une promesse d’aventures à contre-courant.
L'équipe
- Production
- Réalisation
- Collaboration