Bâtir et habiter de Richard Sennett / Ceux qui restent de Benoît Coquard

Au Japon...
Au Japon... ©Getty - Westend61
Au Japon... ©Getty - Westend61
Au Japon... ©Getty - Westend61
Publicité

Cette semaine comme chaque semaine deux essais sous les feux de la critique : "Bâtir et habiter : pour une éthique de la ville" de Richard Sennett (Albin Michel) et "Ceux qui restent : faire sa vie dans les campagnes en déclin", de Benoît Coquard (La Découverte).

Avec

Deux ouvrages qui nous emmèneront de la ville, à la campagne. Dans Bâtir et habiter, publié par Albin Michel, le sociologue américain Richard Sennett propose d’élaborer ce que pourrait être une « éthique de la ville »… de réconcilier le vécu et le construit, les citadins et les urbanistes. De la Cité antique aux métropoles ultramodernes, Richard Sennett mobilise l’histoire, la sociologie, la philosophie et même la littérature au service d’un plaidoyer pour des villes ouvertes, pleines de citadins compétents. Cap ensuite vers la campagne, ou plutôt les espaces périurbains…. Le sociologue Benoît Coquard propose dans Ceux qui restent, aux éditions La Découverte, le fruit de plusieurs années d’enquête dans la région du Grand-Est. Il y décortique les raisons – choix ou contraintes – qui poussent certains à continuer à vivre dans des campagnes en déclin… et à reconstruire de nouvelles consciences collectives qui se sont matérialisées au moment des Gilets Jaunes. 

Richard Sennett - Bâtir et habiter : pour une éthique de la ville

Je vous propose de commencer par le livre de Richard Sennett, Bâtir et habiter, pour une éthique de la ville, dernier essai d’une trilogie consacrée par le grand sociologue américain au rôle social d’homo faber. L’ancien élève d’Hannah Arendt reprend là une distinction établie par la philosophe allemande avec l’animal laborans, l’individu au travail qui ne fait que produire, complètement absorbé par sa tâche et de ce fait amoral – les créateurs de la bombe atomique en seraient les plus tristes représentants. Celui ou celle qui « fait » de ses mains est au contraire capable de juger de façon éthique son travail. C’est ce que Richard Sennett développait en 2010 dans Ce que sais la main… et qu’il approfondissait en 2014 dans Ensemble, un essai sur l’éthique de la coopération, l’empathie et la capacité d’engagement.

Publicité

Le travail et ses évolutions sont donc au cœur des réflexions du professeur à la London School of economics… mais il fallait compléter la démonstration en consacrant ce dernier volet de la trilogie à l’autre grand objet de ses recherches : la ville. De l’antique cité d’Athènes aux villes ultramodernes du XXIe siècle comme New York et Shangaï, Richard Sennett cherche les liens qui unissent la façon de construire les villes, à la façon de les habiter. Pour au final sans doute le volet le plus politique de son travail, puisqu’il s’agit de réconcilier la ville et la cité… 

Au cœur de sa réflexion, les notions de liberté, d’ouverture, de citoyens compétents, de modestie… et une question fondamentale : une éthique peut-elle façonner le plan d’une ville. 

Il produit un livre à l'image de la ville qu'il voudrait : un livre chaotique [...] On passe d'un espace à l'autre, ça reste très impressionniste mais ça vaut par le cumul d'expériences . (Joseph Confavreux)

Il se pose cette vraie question : est-ce que l'urbaniste doit représenter la société telle qu'elle est ou doit-il contribuer à la changer ? (Joseph Confavreux)

Richard Sennett dit que plutôt que de vouloir aménager à toute force, ordonner les choses, laissons s'exprimer les frottements, la conflictualité, la résistance qui peut exister dans cet amas plutôt que de vouloir absolument cadrer les choses et créer des enclaves.  (Thibaut Sardier)

Benoît Coquard - Ceux qui restent : faire sa vie dans les campagnes en déclin

Deuxième temps de l’émission, je vous propose de nous pencher maintenant sur le livre de Benoît Coquard, Ceux qui restent : faire sa vie dans les campagnes en déclin, publié aux éditions La Découverte, dans la collection l’Envers des faits. Ce jeune sociologue à l’Institut nationale de la recherche agronomique (l’Inra), chargé de recherche au Centre d'économie et sociologie appliquées à l'agriculture et aux espaces ruraux à Dijon… étudie depuis plusieurs années les milieux ruraux et les classes populaires. 

Il s’intéresse ici à ces jeunes adultes qui vivent dans ce que Christophe Guiluy a appelé la France périphérique. L’expression a fait débat dans la communauté scientifique, son côté fourre-tout et indiscriminé a irrité notamment les géographes travaillant sur ces espaces. Seulement le terme est passé dans le langage courant, celui des médias qui ont pris l’habitude de désigner ainsi les espaces désertés progressivement par les services publics, où les cafés ferment et la voiture est devenue un symbole politique… Par-delà les controverses, sur lesquelles il nous faudra revenir, cet essai fait le pari de discerner des dynamiques communes aux diverses zones rurales… dynamiques qui se sont concrétisées dans le mouvement des Gilets Jaunes dont il est un peu question ici même s’il est survenu après l’enquête. 

Car c’est bien une enquête en immersion que nous propose le sociologue, dans la région du Grand-Est dont il est originaire. Il s’agit d’expliquer selon lui le « violent triage d’une génération en mettant la focale sur les manières de se fréquenter, de se lier d’amitié ou de fonder un couple, mais aussi de vivre dans un sentiment de conflit permanent tout en cherchant à être reconnu par ses semblables. » La division d’une génération entre ceux qui partent – c'est-à-dire ceux souvent qui ont fait des études – et ceux qui restent, fonde l’analyse d’un entre-soi populaire basé sur une communauté d’idée, de solidarités et la définition d’un « nous ».

Benoît Coquard, lui, s'intéresse aux autres, aux campagnes vieillies à très faible densité (disent les statisticiens) ou encore les campagnes agricoles et industrielles qui sont  sous faible influence urbaine et c'est là finalement tout le problème. Ces espaces ruraux du Grand-Est avaient auparavant un tissu économique marqué par l'industrie et un  emploi industriel  majoritairement peu qualifié. Ces usines ont fermé et aujourd'hui il n'y a pas de villes à proximité pour fournir des emplois aux résidents. Donc comment faire ? (Thibaut Sardier)

Le point sur lequel le livre nous intéresse particulièrement c'est qu'au moment où Christophe Guiluy a parlé  de ce terme de "France périphérique" ça a fait bondir de nombreux chercheurs. [...] Benoît Coquard dans cet essai essaye d'aller plus loin. Il fait voler en éclat non seulement le concept de petits blancs mais d'insécurité culturelle en montrant que c'est toujours  sur des raisons économiques vitales que se font à la fois les rapprochements et les divergences plutôt que sur les questions culturelles. (Joseph Confavreux)

>>> Choix musical : Izia "Trop vite"

Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.

Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.

L'instant critique

Thibaut Sardier nous conseille un premier roman de Marin Fouqué qui nous entraîne dans le monde de l'adolescence et des territoires de l'attente : son titre 77. Cet ouvrage paru chez Actes Sud nous parle d'un département de transition entre Paris et la glaise... Joseph Confavreux nous entraîne dans les montagnes du Kamtchatka avec l'anthropologue, Nastassja Martin, qui raconte comment elle a été attaquée par un ours dans Croire aux fauves (Verticales), un récit saisissant.

L'équipe