Ce soir comme chaque semaine deux essais sous les feux de la critique : "Capital et idéologie" de Thomas Piketty, (Seuil) et "Vies oubliées" d'Arlette Farge (La Découverte).
- Eric Aeschimann journaliste à L'Obs
- Joseph Confavreux journaliste pour le site Médiapart, rédacteur en chef de la Revue du Crieur
Deux livres réunis malgré leur profonde différence par une certaine idée des sources. Elle est exhaustive et pléthorique chez Thomas Piketty, l’économiste signe avec Capital et Idéologie sorti aux éditions du Seuil le livre événement de cette rentrée des essais. Pour un panorama, une fresque monumentale sur la façon dont les sociétés humaines construisent les idéologies qui justifient les inégalités. C’est également un plaidoyer pour les sciences sociales qui se risque à faire un certain nombre de propositions pour dépasser le capitalisme et la propriété privée. L’approche est plus impressionniste mais non moins rigoureuse dans le livre d’Arlette Farge, Vies oubliées, publié aux éditions de la Découverte. L’historienne propose une nouvelle façon de faire de l’histoire, en replongeant dans ses chères archives sur lesquelles elle a tant écrit. Ici, ce sont les reliquats, bribes inclassables et habituellement délaissées qui constituent la matière première d’un livre qui entend donner corps à celles et ceux que l’Histoire ne raconte jamais.
Thomas Piketty - Capital et Idéologie
Je vous propose de commencer par le livre de Thomas Piketty puisque comme je le disais c’est l’événement de la rentrée. Mediapart comme l’Obs – et à vrai dire comme à peu près tous les médias français sauf peut-être Picsou magazine pour des raison évidentes – lui ont consacré un dossier spécial. Il était également l’invité hier d’Olivia Gesbert à la Grande Table.
Capital et Idéologie, publié au Seuil, s’inscrit dans la droite ligne du Capital au XXIe siècle, son essai précédent qui s’est vendu dans le monde à plus de 2 millions et demi d’exemplaires. Après avoir documenté l’explosion des inégalités patrimoniales mondiales – et montré incidemment qu’on était revenu en occident à un niveau d’inégalité qu’on n’avait connu qu’au tournant du XXe siècle – Piketty s’attaque donc aux différentes idéologies qui ont servi et servent à justifier ce qu’il appelle le régime inégalitaire.
L’entreprise part d’un double regret : d’abord celui d’avoir proposé dans le Capital au XXIe siècle une synthèse trop occidentalo-centrée et trop limitée dans le temps. La mise en place depuis plusieurs années, avec d’autres chercheurs, d’une base de données mondiale, la World Inequality database, lui fournit la matière pour dépasser cette limite… on trouve par exemple de long passage sur l’Inde ou le Moyen-Orient.
L’autre regret était celui de ne pas avoir traité des évolutions politico-idéologique et donc d’être resté en marge de ce qui sous-tend réellement les régimes inégalitaires… C’est désormais chose faite puisque le livre se penche aussi bien sur les sociétés d’ordre, la Révolution Française, les sociétés coloniales et post-coloniales, les sociétés post-soviétiques que sur nos société libérales.
C'est une fresque dans le meilleur sens du terme, avec le fait que ça peut-être un peu spectaculaire, vertigineux pour le lecteur quand il commence sa lecture, parfois écrasant au milieu. [...] Il y a le chapitre 17 qui plaide pour un socialisme participatif avec des mesures spectaculaires et agitent beaucoup de gens puisqu'il s'agit de taxer jusqu'à 90% les revenus, les patrimoines, les successions. (Eric Aeschimann)
C'est le grand et gros livre de la rentrée. Il est impressionnant. Dans ce livre Thomas Piketty s'il n'envisage pas la fin du capitalisme du moins il envisage son dépassement à partir d'une fresque globale qui va jusqu'au bout et qui devient une fresque du bon gouvernement en proposant des mesures concrètes pour dépasser une situation que tout le monde s'accorde à trouver intenable écologiquement, socialement et politiquement. Donc respect absolu. (Joseph Confavreux)
Arlette Farge -Vies oubliées : au cœur du XVIIIe siècle
Deuxième temps de l’émission je vous propose de nous intéresser maintenant au livre d’Arlette Farge, Vies oubliées : au cœur du XVIIIe siècle publié aux éditions La Découverte… c’est le premier livre d’une toute nouvelle collection appelée « A la source » dirigée par Clémentine Vidal-Naquet. Un mot rapide de présentation d’Arlette Farge, connue des auditeurs les plus assidus de France Culture puisqu’elle officiait dans la Fabrique de l’Histoire d’Emmanuel Laurentin et qu’elle a été aussi longtemps productrice de la mythique émission les Lundis de l’histoire.
Est-il donc besoin de préciser après avoir dit cela qu’Arlette Farge est historienne, spécialiste du XVIIIe siècle… Elle a beaucoup travaillé sur la vie quotidienne à Paris, a participé à l’émergence de l’histoire des mentalités et de l’histoire des femmes. Le présent ouvrage est le résultat à la fois de ses travaux sur les archives des de la Bastille, qui avait donné Le Désordre des familles. Lettres de cachet des Archives de la Bastille au XVIIIe siècle co-écrit avec Michel Foucault et publié en 1982… et de sa réflexion sur Le Gout de l’Archive, titre d’un autre de ses essais paru en 1989.
Il s’agit ici de revenir à ce que les historiens appellent les reliquats, les déchets, ces bribes d’archives déclarées inclassables par les inventaires, et délaissés par celles et ceux qui les exhument. La raison est simple et presque triviale : elles ne rentrent pas forcément dans leur projet de recherche. Ce sont des textes très courts, lettres, pamphlets, chansons, rapports de police, inventaires… qu’Arlette Farge nous livre ici avec de brefs commentaires. On voit véritablement comment d’une bribe d’archive on peut tirer des enseignements sur les coutumes, les contraintes économiques, les accidents de la vie, les motifs de colères ou de peines qui sont aujourd’hui l’un des objets les plus passionnants de cette science qu’est l’histoire.
C'est un livre insolite. C'est à la fois un livre de position, de propositions historiographiques. C'est une plongée dans des archives assez spécifiques, c'est un livre qui est parfois scientifique mais qui frôle la littérature et c'est aussi un livre d'ego-histoire éclaté de cette grande historienne du Paris populaire et des Lumières qu'est Arlette Farge. (Joseph Confavreux)
On trouve des choses très belles dans ce livre, notamment l'indignation concernant l'usage des farines qui servent à blanchir les perruques alors qu'on est dans un moment où l'on a faim dans Paris et on prend conscience qu'effectivement la farine avait une autre vocation et on pourrait penser que ces gens se disent : on a tellement de farine qu'on peut en mettre sur nos perruques !!(Eric Aeschimann)
L'instant critique
Joseph Confavreux nous propose une revue belge intitulée Papier Machine 8 1/2 (Hors-série). C'est une revue poétique imprimée, créée en 2014, destinée à explorer la langue, pour créer un espace ou littérature, sociologie, dessins... se côtoient. Ce numéro Hors-série marque un pas de côté pour s'interroger entre le numéro 8 et le numéro 9. Eric Aeschimann nous parle d'une bande dessinée Les maléfiques publiée par l'Association. Toujours dans l’air du temps, et intéressée par la chose, Nine Antico, l'auteur de cette bande dessinée nous brosse le portrait en huis-clos d’une bande de gonzesses sérieusement décomplexées, révélant la vraie nature des filles...
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