Ce soir comme chaque semaine deux essais sous les feux de la critique : "Tristes Grossesses : l’affaire des époux Bac" de Danièle Voldman et Annette Wiewiorka (Seuil) et "Une femme regarde les hommes regarder les femmes" de Siri Hustvedt (Acte Sud).
- Aliocha Wald Lasowski journaliste pour les pages idées de l'Express
- Cécile Daumas rédactrice en chef adjointe, service Idées de Libération et présidente du Laboratoire de l'égalité
Deux livres d’actualité au lendemain de la journée internationale du droit des femmes. D’actualité même si le premier est un livre d’histoire, Tristes Grossesses : l’affaire des époux Bac a été publié au Seuil, il est signé des historiennes Danièle Voldman et Annette Wiewiorka. L’essai revient sur un fait divers et un procès oubliés aujourd’hui, qui furent pourtant une étape importante dans le combat pour la légalisation de la contraception en France. D’actualité aussi le second essai dont on parlera ce soir… Une femme regarde les hommes regarder les femmes de Siri Hustvedt, publié chez Acte Sud. La romancière et essayiste américaine y explore la façon dont la notion de créativité est affectée par le regard que les hommes portent sur les femmes.
Danièle Voldman et Annette Wieviorka -Tristes Grossesses : l’affaire des époux Bac (1953-1956)
Je vous propose de commencer par le livre de Danièle Voldman et Annette Wieviorka, Tristes Grossesses : l’affaire des époux Bac (1953-1956) publié aux éditions du Seuil. Les deux historiennes sont chercheuses émérites au CNRS, spécialistes du XXe siècle. Annette Wieviorka est connue pour ses travaux sur la Shoah, Danièle Voldman est quant à elle spécialiste d’histoire urbaine, mais aussi des questions d’identité de genre. Elle avait d’ailleurs signé un livre magnifique, qui avait donné lieu à une adaptation cinématographique, ce qui n’est pas commun pour un essai d’histoire, La Garçonne et l’assassin : histoire de Louise et de Paul déserteur travesti dans le Paris des années folles écrit avec Fabrice Virgili et publié chez Payot en 2011.
Si je le cite c’est que la démarche se rapproche du livre qui nous intéresse ce soir… on pourrait parler à son sujet de micro-histoire, c'est-à-dire d’une façon de s’intéresser au destin des individus pour éclairer le monde qui les entoure. En l’occurrence, les époux Bac, condamnés en 1954 pour avoir laissé mourir faute de soin leur petite fille de huit mois. Un fait divers, traité comme tel d’abord par les journaux de l’époque, qui marquera pourtant une étape importante dans le combat pour la légalisation de la contraception. Car une femme va s’en emparer, il s’agit de Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé, médecin gynécologue qui fondera la Maternité heureuse, ancêtre du planning familial.
Le procès des époux Bac est connu pour ça des historiens… mais aucun n’avait jusque-là entrepris d’en faire véritablement l’histoire. C’est ce que font Danièle Voldman et Annette Wieviorka, en revenant d’ailleurs sur leurs difficultés dans un journal d’enquête à la fin du livre. Elles nous rappellent ainsi ce qu’était cette France des années 50 qui n’est pas si loin, mais paraît un autre monde. Elles montrent surtout comment les institutions sociales, judiciaires, de santé et la morale pèsent alors sur le corps des femmes…
Très beau travail singulier de ce livre qui met en perspective un cas singulier pour passer d'un fait divers à un fait de société pour comprendre la société de l'époque et la terrible loi de 1920 (Cette loi assimile la contraception à l'avortement. Toute propagande anticonceptionnelle est interdite. Le crime d'avortement est passible de la cour d'Assises.)(...) La lutte pour la dépénalisation de l'avortement et la lutte pour la légalisation de la contraception est un combat qu'il faut totalement inventer. (Aliocha Wald Lazowski)
Dans la deuxième partie du livre c'est la construction politique d'un combat vers un progrès social. On voit le rôle essentiel des médecins. Le premier procès des époux Bac se tient en 1954 et en 1955 on assiste à une bascule totale parce qu'après avoir été condamnés lors du premier procès à sept ans, les époux Bac feront appel et lors de leur deuxième procès la gynécologue Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé témoigna en leur faveur. Ils purent sortir de prison après deux ans (Cécile Daumas)
Siri Hustvedt - Une femme regarde les hommes regarder les femmes
Deuxième temps de l’émission, je vous propose de nous pencher maintenant sur le livre de Siri Hustvedt : Une femme regarde les hommes regarder les femmes, publié chez Acte Sud. On avait parlé l’année dernière à ce micro de son précédant livre chez le même éditeur, Les Mirages de la certitude. Essai sur la problématique corps/esprit. La romancière et essayiste américaine y poursuivait sa réflexion à la foi érudite et intime, à la croisée des sciences dures et des sciences sociales, de l’histoire de la pensée, de la neurobiologie et de son histoire personnelle. Elle rouvrait surtout un dossier vieux comme la philosophie : le rapport entre le corps et l’esprit.
Il est aussi question de corps et d’esprit dans ce nouveau livre, qui rassemble une série de textes sur l’art et sur sa perception. Siri Hustvedt y interroge la façon dont nous évaluons la créativité, et montre comment les critères d’appréciation se modifient, surtout si on parle d’une œuvre d’homme ou de femmes. Elle s’intéresse aussi à la façon dont les artistes regardent et représentent les femmes… Toujours en proposant une approche à la première personne « qui sont les femmes inventées par ces artistes ? Comment les perçois-je ? ».
Siri Hustvedt se place résolument dans une perspective d’étude de genre, cherchant à montrer comment l’art révèle la façon dont la société attribue telle ou telle caractéristiques aux sexes. La culture et la science supposées masculine sont en permanence opposées à la nature féminine jugée chaotique… et cela se ressent dans les formes, dans les styles. Le livre porte d’ailleurs une réflexion plus large sur la possibilité de séparer, en art, la forme et le sens.
C'est une série de textes avec pour thème : "qu'est-ce qu'une expérience esthétique" qui se fait à partir d'un dispositif artistique (...) La question : Comment le féminin et le masculin se rencontrent, se croisent, se déplacent, s'inversent, se modifient à travers le verbe qui est doublement répété dans le titre " regarde/ regarder" (Aliocha Wald Lazowski)
Le livre est déroutant (...) Le livre est une succession d'essais et il n'y a pas d'introduction à ces articles publiés on ne sait où, on ne sait quand. J'ai retourné le livre dans tous les sens (...). Depuis l'affaire Weinstein les artistes se questionnent sur qui créent pour qui au cinéma, dans la littérature évidemment, dans la fiction, etc. Je pensais que ce livre allait répondre à cette interrogation... (Cécile Daumas)
>Choix musical : " Où va le monde" La Femme
L'instant critique
Aliocha Waldlazowski nous parle du dernier film de Denys Arcand " La chute de l'empire américain" et Cécile Daumas nous propose une bande dessinée " Moi, ce que j'aime, c'est les monstres" d'Emil Ferris traduit par Jean-Charles Khalifa aux éditions Monsieur Tousssaint Louverture. Ce roman graphique à reçu le prix du meilleur album/ Fauve d'Or à Angoulême 2019 et le Grand prix de la critique 2019.
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