Didier Fassin, la valeur de la vie

Un garde côte turc retenu par une corde attachée à un hélicoptère survolant les réfugiés sur un ilot au large d'Izmir en Turquie.  (14/12/2017)
Un garde côte turc retenu par une corde attachée à un hélicoptère survolant les réfugiés sur un ilot au large d'Izmir en Turquie.  (14/12/2017) ©AFP - Cem Oksuz / Anadolu Agency
Un garde côte turc retenu par une corde attachée à un hélicoptère survolant les réfugiés sur un ilot au large d'Izmir en Turquie. (14/12/2017) ©AFP - Cem Oksuz / Anadolu Agency
Un garde côte turc retenu par une corde attachée à un hélicoptère survolant les réfugiés sur un ilot au large d'Izmir en Turquie. (14/12/2017) ©AFP - Cem Oksuz / Anadolu Agency
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Ce soir comme chaque semaine deux essais sous les feux de la critique : « La Vie. Mode d’emploi critique » de Didier Fassin, au Seuil et « Dans la tête de Recep Tayyip Erdogan », de Guillaume Perrier chez Acte Sud / Solin.

Avec

Nous commencerons par le livre de Didier Fassin, La Vie : Mode d’emploi Critique paru au Seuil dans la Collection « La couleur des idées ». Nous irons de l’autre côté de la Mer Egée en seconde partie d’émission pour nous plonger Dans la tête de Recep Tayyip Erdogan, comme nous y invite le journaliste Guillaume Perrier dans un essai sorti chez Acte Sud/ Solin.

Didier Fassin -La Vie. Mode d’emploi critique

Un texte très ambitieux qui confronte l’approche philosophique aux résultats des enquêtes ethnographiques de l’auteur… toutes les vies se valent nous dit l’éthique contemporaine, mais la réalité montre bien autre chose. Par exemple, si on regarde la situation des « exilés involontaires », ceux qui s’entassent aux frontières de l’Europe comme en Turquie. 

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Didier Fassin est anthropologue, mais également sociologue et médecin de formation, ça a de l’importance on va le voir pour l’essai qui nous occupe aujourd’hui… il est professeur à Princeton aux Etats-Unis et directeur d’étude à l’EHESS à Paris. 

Son regard se pose toujours sur des sujets assez massifs qui mettent en lumière la fonction politique de la morale, et le contraste entre ce qui est déclaré et la réalité des faits. Il s’est penché tour à tour ces dernières années sur l’humanitaire dans Raison humanitaire : une histoire morale du temps présent, la Justice dans Juger Réprimer Accompagner : essai sur la morale de l’Etat ou enfin la prison dans L’Ombre du Monde : une anthropologie de la condition carcérale… Il perpétue ainsi des réflexions entamées par Michel Foucault auquel il fait souvent référence, et défend comme il le dit lui-même une « anthropologie critique, engagée dans la cité, attentive aux aspects souvent ignorés du monde contemporain ».

Et ce qu’il nous révèle dans ce dernier essai, c’est le profond paradoxe qui traverse nos sociétés quand il s’agit de défendre la vie. Si la vie biologique, le vivant, est défendue à tout prix… la vie biographique, le vécu est déconsidéré.

Objet vertigineux et assez hybride, il pose d’immenses questions philosophiques et y répond à partir d’un récolement de toutes ses enquêtes précédentes […] C’est un livre qui aurait pu s’appeler « De l’inégalité des vies»  voire « Discours sur l’inégalité parmi les hommes » mais le titre était déjà pris par Jean-Jacques  Rousseau ! (Joseph Confavreux)

Il y a un sous-texte dans ce livre qui est une discussion ouverte entre les sciences sociales et la philosophie : qu’ont à dire les sciences sociales de la philosophie et à la philosophie. Mais pour rassure nos auditeurs, cela n’en fait pas un livre super épistémologique. (Catherine Portevin)

Guillaume Perrier -Dans la tête de Recep Tayyip Erdogan

Deuxième temps de l’émission on change complètement de sujet et de genre avec l’essai d’un journaliste, Guillaume Perrier sorti chez Solin/Acte Sud.

C’est en fait un essai qui s’inscrit dans une collection initiée par Michel Eltchaninoff avec Dans la tête de Vladimir Poutine, il s’est ensuite penché sur Marine Le Pen, puis Nicolas Tenaillon a décortiqué les motivations et les réflexions du Pape François et François Bougon celles de Xi Jinping…

A chaque fois les auteurs éclairent l’action de leur sujet en remontant aux sources intellectuelles et politiques. C’est ce que propose Guillaume Perrier avec le président turc Recep Tayyip Erdogan… qu’il connaît bien pour avoir été longtemps en poste à Istanbul et avoir notamment réalisé un documentaire sur lui, diffusé en 2016 sur Arte.

Le livre se présente de façon chronologique, mais à chaque page l’auteur illustre ce qui constitue aujourd’hui l’énigme posée par le rais comme on le surnomme : comment l’enfant des rues qui voulait devenir footballeur est-il parvenu à ce point à incarner seul la politique turque en 2018 ? Alors qu’Erdogan a un tempérament impétueux et colérique, il a fait preuve d’un sens politique et tactique hors du commun. Ce retour biographique rappelle la façon qu’il a eu de s’allier puis de vilipender successivement les Européens, les Kurdes, Israël, les Gülenistes, les nationalistes… Pour finir en l’incarnation parfaite du dictateur mégalomane qui se voit en héritier de Mustapha Kemal Atatürk et de Soliman le Magnifique.

A la fin des années 90, la Turquie est le seul pays membre du Conseil de l’Europe dont les universités sont interdites aux femmes voilées. C’est vraiment l’inverse de l’image que l’on a aujourd’hui. Erdogan va réussir une mue phénoménale. On voit d’abord son caractère omnivore avec une tendance carnivore ! c’est-à-dire sa capacité à mobiliser des références théoriques ou politiques contradictoires pour lui permettre non seulement d’arriver au pouvoir et de s’y maintenir. (Joseph Confavreux)

C’est vraiment  la chronique d’une conquête du pouvoir. C’est très intéressant car je ne suis pas sûre que tout le monde ait en tête cette longue traversée jusqu’au pouvoir. Cela fait déjà plus de quinze ans qu’Erdogan est entré en politique. (Catherine Portevin)

L'instant critique

Catherine Portevin rend hommage au philosophe Etienne Tassin, spécialiste de la pensée de Hannah Arendt, qui vient de mourir renversé par une voiture, son dernier article est paru dans  Philosophie magazine, "L'humanité elle aussi n'est pas éternelle". Un article paru en octobre 2017. Joseph Confavreux nous recommande le livre paru aux éditions de la Découverte  Les Couleurs de la Masculinité de Mara Viveros Viyoga sur la construction des "identités" masculines. Cette auteure est la grande spécialiste latino-américaine des études de genre.

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