Eva Illouz sur le capitalisme affectif / Naomi Klein sur la stratégie du choc

Le président Trump et son épouse arrivent à Porto Rico à la suite de l'ouragan Maria qui a dévasté l'île (3 octobre 2017)
Le président Trump et son épouse arrivent à Porto Rico à la suite de l'ouragan Maria qui a dévasté l'île (3 octobre 2017)  ©Getty - Joe Raedle
Le président Trump et son épouse arrivent à Porto Rico à la suite de l'ouragan Maria qui a dévasté l'île (3 octobre 2017) ©Getty - Joe Raedle
Le président Trump et son épouse arrivent à Porto Rico à la suite de l'ouragan Maria qui a dévasté l'île (3 octobre 2017) ©Getty - Joe Raedle
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Ce soir, comme chaque semaine, deux essais sous les feux de la critique : "Les marchandises émotionnelles", sous la direction d'Eva Illouz (Premier parallèle) et "Le choc des utopies" de Naomie Klein (LUX). Deux livres qui explorent les nouveaux visages du capitalisme.

Avec

Nous parlerons tout d’abord du livre Les Marchandises émotionnelles, un ouvrage collectif initié et dirigée par la sociologue Eva Illouz, publié aux éditions Premier Parallèle, qui explore les liens entre consommation et émotions. Comment les émotions sont-elles devenues des marchandises ? C’est la question à laquelle tente de répondre cette série d’articles. Le second essai dont nous parlerons ce soir explore un tout autre aspect du capitalisme, signé de l’essayiste canadienne Naomi Klein Le Choc des utopies, il est publié chez Lux. La journaliste s’appuie sur un reportage qu’elle a fait à Porto Rico après le passage de l’ouragan Maria, pour illustrer ce qu’elle a appelé la « stratégie du choc », ou comment les désastres naturels deviennent le champ d’affrontement de deux visions du monde.

Eva Illouz (sous la direction de) - Les marchandises émotionnelles

Je vous propose de commencer par le livre dirigé par Eva Illouz, Les Marchandises émotionnelles, traduit de l’anglais par Frédéric Joly. La sociologue franco-israélienne travaille depuis plusieurs années sur ce qu’elle appelle le « capitalisme affectif » et ses effets sur la psyché. Elle a d’ailleurs signé en août dernier avec Edgar Cabanas chez le même éditeur Premier Parallèle Happycratie, comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies… Un essai qui a eu pas mal de succès, et qui se penchait sur l’injonction au bonheur, devenu une science qui fait des émotions une marchandise comme les autres.

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C’est la même idée qu’on retrouve ici, mais présentée de façon à la fois plus variée et plus détaillée, à travers les articles de différents étudiants qui ont travaillé avec Eva Illouz depuis plusieurs années sur le sujet. Pour des études de cas qui vont du Club Med aux films d’horreurs en passant par la musique, la quête d’authenticité ou la psychothérapie. L’un des objectifs du livre, c’est d’établir une typologie de ces marchandises émotionnelles, les émodities comme elles sont appelées dans le livre… 

L’ouvrage met en évidence la dynamique historique d’un capitalisme qui a évolué… passant du marketing des objets, qu’on achète autant pour ce qu’ils font que pour ce qu’ils sont et disent de nous, à la transformation des émotions elles-mêmes en marchandises. 

La problématique finale de ce livre , ce qu'on lit en filigrane de ce livre d'Eva Illouz  : que sont les émotions authentiques à l'ère du capitalisme mondialisé ? Peut-il encore exister des expériences émotionnelles, des sentiments authentiques non fabriqués par la sphère marchande ? (Eugénie Bastié)

Sur la nocivité  de ce capitaliste émotionnel : en nous vendant la connaissance de soi-même, la découverte de soi, le contrôle de nos émotions en nous vendant ça comme le nec plus-ultra, les perspectives deviennent illimitées. La découverte de soi est potentiellement infinie. De cette façon le capitalisme émotionnel sait créer des gisements de profit également infini ! (Laurent Etre) 

Naomie Klein - Le choc des utopies 

Deuxième temps de l’émission, je vous propose de nous pencher maintenant sur le livre de Naomi Klein, Le choc des utopies : Porto Rico contre les capitalistes du désastre. La journaliste et essayiste canadienne, est partie pour le journal américain de gauche The Intercept à Porto Rico, juste après le passage de l’ouragan Maria en 2017. On se souvient des images de dévastations, tout comme celles d’un Donald Trump complètement déconnecté qui balance, hilare, des rouleaux de papier essuie-tout à une population au désespoir. 

L’auteure de la Stratégie du choc y trouve un nouvel exemple de sa théorie développée en 2008, et qui montrait comment un capitalisme du désastre avait vu le jour ces dernières années. A travers une série d’exemples, elle montrait comment les logiques de prédations, d’accaparement des terres, de privatisation des services publics profitaient des situations de crise. Porto Rico offre à ce titre un idéal type, une vision extrême de sa théorie car ce protectorat, où les habitants sont citoyens américains mais ne peuvent voter, est un espace d’expérimentation depuis longtemps : expérimentations néolibérales, agricoles ou financières on y reviendra.

Le choc des utopies, c’est selon Naomi Klein l’affrontement de deux logiques pour la reconstruction de Porto Rico : celle d’une classe d’ultrariches qui profite de ce paradis fiscal des caraïbes, et celle d’une population qui y voit une possibilité d’émancipation et d’expérimentation sociale et écologique. 

Le point fort de l'ouvrage c'est l'évocation de l'auto-organisation d'une partie des portoricains pour palier ces situations de pénurie largement organisée. Par son reportage dans les fermes biologiques communautaires Naomie Klein nous montre qu'il y a des idées sur places et des pratiques de résistance qui permettent d'impulser un autre modèle de société. (Laurent Etre)

Le contre modèle communautaire, local, l'existence de mini réseaux d'électricité, l'agriculture biologique, l'organisation des écoles publiques, etc. ce n'est pas une utopie. Car l'utopie c'est le lieu qui n'existe pas. Ce que nous présente Naomie Klein ce sont des initiatives locales qui existent. L'utopie est elle du côté des libertariens qui veulent créer des ilôts en dehors de tout état pour préserver une forme d'égoïsme rationnel (...) (Eugénie Bastié)

>Choix musical : THEY. "Broken" feat. Jessie Reyez

L'Instant critique

Eugénie Bastié nous propose la lecture de la revue " Philitt" éditée par les éditions du Rocher , le numéro 8 de la revue a pour thème "L'enfance retrouvée". Laurent Être nous parle du documentaire de David Dufresne à voir partir du 23 mars sur Arte " Le Pigalle, une histoire populaire de Paris" .

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