

Cette semaine comme chaque semaine, deux essais sous les feux de la critique :"Plaidoyer pour l’universel" de Francis Wolff et "Les droits de l’homme rendent-ils idiot ?" de Justine Lacroix et Jean-Yves Pranchère.
- Catherine Portevin chef de la rubrique livres pour Philosophie Magazine
- Jean-Marie Durand journaliste indépendant
Deux livres qui veulent réhabiliter un universalisme aujourd’hui malmené. C’est une entreprise que le philosophe Francis Wolff mène de longue date en se penchant sur la notion d’Humanité… son dernier essai Plaidoyer pour l’universel publié chez Fayard vient clore cette entreprise. Il s’inscrit ainsi dans un débat central, ancien, mais terriblement contemporain : alors que nous n’avons sans doute jamais été aussi conscient de ne former qu’une seule humanité, l’universalisme est attaqué de toute part. En réponse Wolff cherche ici à refonder un humanisme universaliste. La préoccupation est assez similaire chez la politiste Justine Lacroix et le philosophe Jean-Yves Pranchère qui cosignent Les Droits de l’Homme rendent-ils idiot ? au Seuil. La montée des droits individuels sont accusés de tous les mots : crétinisation des esprits, fin du politique, victoire de l’égoïsme sur la délibération collective… Pourtant, s’interrogent les auteurs, les Droits de l’homme ne sont-ils pas la seule boussole dont on dispose en démocratie ?
Francis Wolff - Plaidoyer pour l’universel
Je vous propose de commencer par le livre de Francis Wolff, c’est un peu le gros morceau théorique ce soir. Plaidoyer pour l’universel a paru chez Fayard dans la collection Histoire de la pensée. Francis Wolff est philosophe, professeur émérite à l’Ecole Normale Supérieur de Paris. On avait parlé ici de son précédent essai Trois Utopies contemporaine – vous étiez là Catherine Portevin – qui forme avec Notre humanité. D’Aristote aux neurosciences un triptyque consacré à l’idée d’humanité. Mais si la défense de l’humanisme était ce que l’auteur appelle lui-même un « présupposé implicite » des deux livres précédents, elle est ici au cœur de son propos.
Au point de départ, un constat je le disais : jamais peut-être l’humanité n’a-t-elle eu autant conscience de partager un destin commun, de former un tout pris dans les mêmes défis du réchauffement climatiques, des épidémies, du terrorisme, des crises économiques… Mais alors qu’elle s’impose dans les consciences, l’unité de l’humanité recule dans les représentations collectives – la liste est longue : revendications identitaires, nationalisme, xénophobie, radicalités religieuses mais aussi critique d’un universalisme jugé hypocrite, patriarcal, occidentalo-centré quand ce n’est pas anthropocentré.
La force du livre, c’est de ne pas balayer ces accusations au nom par exemple de l’héritage des Lumières, mais de les prendre au sérieux pour les défaire une à une et « rendre toute leur puissance mobilisatrice et critique aux idées universalistes ». Pour ça, Francis Wolff entreprend de redonner une assise philosophique et rationnel aux idées d’universalisme et d’humanisme. Une entreprise qui se révèle assez perturbante, alors qu’on pourrait la penser consensuelle... car en réaffirmant l’humanisme, le philosophe entend montrer que l’humanité est la seule source de valeur et mène la charge contre tous les relativismes.
Ce qui est intéressant avec Francis Wolff c'est comme si on se retrouvait dans un cours de philosophie quarante ans en arrière, on retrouve les grands classiques : Aristote, Kant.... On replonge dans une manière assez académique de faire de la philosophie pour finalement défendre des idées, il nous ramène aux fondamentaux [...] Il défend la nécessité d'un humanisme. (Jean-Marie Durand)
On pourrait résumer sa vision de l'humanisme sur le thème "L'humanisme ne vaut rien, mais rien ne vaut l'humanité" sur le modèle de la fameuse phrase de Malraux : "Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie". Francis Wolff préfère mettre l'humain au premier plan plutôt que la vie. (Catherine Portevin)
Justine Lacroix et Jean-Yves Pranchère - Les droits de l’homme rendent-ils idiot ?
Deuxième temps de l’émission, je vous propose de nous pencher maintenant sur le livre de Justine Lacroix et Jean-Yves Pranchère, Les droits de l’homme rendent-ils idiot ? publié aux éditions du Seuil dans la collection La république des idées. Justine Lacroix est professeure de Sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles où elle dirige le Centre de théorie politique. Jean-Yves Pranchère est professeur de philosophie politique également à l’Université libre de Bruxelles. Ensemble ils avaient déjà publié sur le sujet Le procès des droits de l'homme : généalogie du scepticisme démocratique (Seuil, 2016).
Ils poursuivent ici le même objectif : prendre au sérieux les critiques des droits de l’homme qui se sont multipliées et ont pris de l’ampleur ces dernières années… notamment sous l’accusation de droit de l’hommisme, de bien-pensance, qui oublieraient les contraintes de l’action politique. Ce nouvel essai, plus court, propose donc une synthèse des arguments en présence. L’objectif étant d’essayer de comprendre ce qui pousse des responsables politiques et des intellectuels, de droite comme de gauche, à s’en prendre aux principes et aux fondements juridiques des droits de l’hommes, plutôt qu’à leur transgression.
Car c’est le point de départ du livre : alors que certains regrettent un supposé diktat des droits individuels et des revendications particulières… il y aurait en réalité une érosion des droits qui font peser une menace sur la démocratie. Les auteurs entreprennent donc de défaire une à une ces critiques : les droits de l’homme vus comme une arme pour faire accepter le capitalisme et la domination occidentale, le sujet de droit qui signe la mort de la société, son narcissisme qui en fait enfin un mauvais citoyens… pour au final mettre fin au politique.
C'est le point que je trouve vraiment intéressant le tournant néolibéral des années 70-80 a une réalité qui n'est certainement pas celle de la récupération du capitalisme de la demande de droit [...] Les auteurs montrent bien dans leur ouvrage que ce sont les mêmes qui ont dénoncé la collusion et qui ont approuvé le néolibéralisme. C'est quand même une chose étonnante que de constater ces retournements de situation. (Catherine Portevin)
Dans une enquête Ipsos faite pour Human Rights Watch de 2018, une grande enquête menée auprès de 30 pays sur la perception des droits humains, il était frappant de voir qu'en France Seul 1/3 des citoyens considère que les atteintes aux droits fondamentaux sont un réel problème. [...] Cette régression des droits sur le plan juridique, politique et intellectuel est forcément une question inquiétante et le livre en traduit très bien les enjeux. (Jean-Marie Durand)
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L'instant critique
Avec Jean-Marie Durand, il sera encore question d'un livre Le temps des magiciens : 1919-1929, l'invention de la pensée moderne de Wolfram Eilenberger, traduit de l'allemand par Corinna Gepner. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, un élan de créativité sans précédent se produit dans l’histoire de la philosophie. Les ouvrages majeurs de Ludwig Wittgenstein, Martin Heidegger, Ernst Cassirer et Walter Benjamin, marquent un tournant de la pensée occidentale qui va façonner la philosophie moderne... Un ouvrage qui nous dit comment la pensée s'est réinventée. Nous suivrons ensuite les pas de Catherine Portevin dans une exposition intitulée "De l'Amour" présentée au Palais de la Découverte jusqu'au 30 août 2020. "De l'Amour" questionne ce mystérieux sentiment en s'appuyant sur des travaux scientifiques et artistiques. Qu’est-ce que l’amour ? L’empathie ? L’attachement ?
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