L’identité en question

  ©Getty - Flashpop
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Ce soir comme chaque semaine deux essais sous les feux de la critique : "Un temps pour haïr" de Marc Weitzmann sorti chez Grasset et " La Gauche identitaire : l’Amérique en miettes" de Mark Lilla publié chez Stock.

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Deux livres qui développent chacun à leur façon une certaine idée de l’identité. Dans Un temps pour haïr, sorti chez Grasset, le journaliste et romancier Marc Weitzmann s’interroge : comment la France a pu être à la fois le laboratoire de la terreur, et l’un des seuls pays occidentaux à échapper à la victoire des populismes ? À travers une enquête intellectuelle fouillée, il montre le rôle central de l’antisémitisme, qui rapproche tous les anti-modernes : qu’ils soient islamistes ou d’extrême droite. 

On passe de l’autre côté de l’Atlantique pour le second essai dont il sera question ce soir, La Gauche identitaire : l’Amérique en miette de l’essayiste Mark Lilla. Un ouvrage qui a fait polémique lors de sa sortie aux États-Unis, puisqu’il accuse la gauche de s’être condamnée à l’échec en abandonnant les classes populaires pour défendre les minorités. Un reproche qui renvoie à ce qu’on peut entendre ici en France, jusque dans sa façon de prôner l’universalisme citoyen et la solidarité Républicaine.

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Marc Weitzmann - Un temps pour haïr

Je vous propose de commencer par l’essai de Marc Weitzmann Un temps pour haïr publié chez Grasset. L’auteur travaille depuis plusieurs années ce matériaux brut qu’est le monde post 11 septembre… interrogeant en romancier la résurgence de l’antisémitisme dans Quand j’étais normal ; et les attentats en essayiste dans Note sur la Terreur. Un travail qu’il poursuit d’ailleurs à la radio puisque Marc Weitzmann est producteur depuis cette année de l’émission « Signe des Temps » sur France Culture le dimanche.

Un temps pour haïr se penche, comme son titre l’indique sur une époque, la nôtre, dans laquelle on assiste sidérés à la résurgence de la haine… dont la France serait le laboratoire. C’est le pays qui a été le plus frappé ces dernières années par à la fois les attentats islamistes… par la recrudescence de l’antisémitisme… et par la résurgence d’une extrême droite anti-moderne même si on échappe encore à la victoire des populismes.

C’est pour comprendre ce paradoxe que l’auteur s’est plongé dans les écoutes des services de police, les audiences des premiers procès terroristes – il en a couvert certains pour la presse – a rencontré les familles de djihadistes… mais a aussi mené une enquête intellectuelle au cœur de la galaxie rouge-brune. Cette façon de tenir ensemble les deux bouts de la haine… qui se rejoignent tout de même dans le complotisme et l’antisémitisme… fait de ce livre un objet complexe, qui parvient à échapper au manichéisme qui s’est emparé depuis quelques temps de ce sujet miné.

C’est probablement pour ça qu’il est toujours en lice à la fois pour le prix Médicis et pour le Renaudot.

Le livre est une forme d’enquête sociologique et historique pour remonter aux motifs profonds des questions qui font de la France (…) une France en miettes. (…) Il fait une série rétrospective d’épisodes de l’histoire pour apporter une réflexion sur aujourd’hui. (…) Souvent, il dit : « rien n’a été fait », « les choses sont graves lorsqu’elles le sont déjà ». Il essaie d’expliquer des séquences entre 2012 (les attentats de Montauban et Toulouse), les années 2015, et jusqu’à aujourd’hui : les ratés politiques, la montée de l’extrême droite, le lien avec l’antisémitisme. Et ça donne une lecture très très riche. (Aliocha Wald Lasowski)

C’est un livre qui est dans l’amalgame. Il voudrait mettre dans le même sac tous les ennemis de l’Occident, en disant qu’ils partagent tous les mêmes convictions, la même vision du monde. Or, je crois que c’est faux. Par exemple, aujourd’hui l’antisémitisme est beaucoup moins présent dans les mouvements populistes qu’il ne l’est dans l’islam radical ou dans l’islamisme. Je pense qu'il surestime beaucoup des mouvements que je crois marginaux, par exemple la nouvelle droite d’Alain de Benoist, ou Douguine. (Eugénie Bastié)

Mark Lilla - La Gauche identitaire : l’Amérique en miettes

Deuxième temps de l’émission nous allons maintenant nous pencher sur le dernier essai de l’essayiste américain Mark Lilla, La Gauche identitaire : l’Amérique en miettes publié chez Stock. L’auteur est professeur de sciences humaines à la Columbia University et a jeté un pavé dans la marre après l’élection de Donald Trump en signant dans le New York Times un article retentissant. Il y expliquait la victoire du Républicain par les égarements d’une gauche démocrate obnubilée par les questions de race et de genre. Dans son collimateur, les mouvements féministes, gays, indigènes ou afro comme Black Lives Matter qui hystériseraient, selon lui, le débat et empêcheraient surtout de porter un projet fédérateur.

L’essai qui nous intéresse ce soir développe les idées présentées dans cet article, et s’adresse aussi à une gauche européenne en passe -craint-il- de prendre ce tournant d’une « politique identitaire ». Il revient sur l’histoire de ce mouvement qui s’est imposé dans les campus américains avec ce qu’on a appelé la Nouvelle Gauche, en réaction au reaganisme. Problème : elle partage avec le très néolibéral président des années 80 le culte de l’individu, et avec la droite identitaire une « suspicion confinant au mépris envers la citoyenneté républicaine ». 

Accusé tour à tour de racisme, de misogynie, d’être un « suprémaciste blanc » – ce qui ne pardonne pas dans le champ intellectuel américain aujourd’hui – il persiste et signe en continuant de se revendiquer de gauche… mais modérée.  

Pourquoi la gauche a perdu les classes populaires ? C’est une question qui hante l’Occident (…). Ce livre essaie d’y répondre, et je trouve qu’il le fait plutôt de manière stimulante. (…) Cette condamnation du virage identitaire de la gauche est plutôt convaincante, et il essaie de prôner les contours d’une gauche qui serait républicaine, qui s’appuierait sur la notion de citoyenneté plutôt que sur celle d’identité. (Eugénie Bastié)

Je pense qu’il y a un certain nombre de raccourcis, d’accélérations (…). Je trouve cela assez sidérant : il y a deux lignes sur Barack Obama. Il dit « Yes we can, mais we can quoi ? », et c’est terminé. (…) je pense que si on veut analyser le passage de Roosevelt à Reagan et d’Obama à Trump il faut passer  un petit plus de temps sur ce qu’a incarné Obama pendant ses deux mandats, sur l’engagement politique qu’ il y a eu derrière lui et ce que ça a représenté. (Aliocha Wald Lasowski)

L'instant critique

Nous parlerons aujourd'hui de la nouvelle revue numérique Entre-temps du Collège de France. C'est une revue d'histoire actuelle, collective, collaborative et gratuite, attachée à la chaire de Patrick Boucheron, producteur de l'émission "Matières à penser". Nous parlerons de l'article d'Etienne Anheim, historien et directeur d'études à l'EHESS "Ecouter voir : le professeur de musique de l’Amérique".                       

Choix musical : "Petit pays" de Gaël Faye (sur l'EP "Des fleurs").