Ce soir comme chaque semaine deux livres sous les feux de la critique : "Le retour du prince" de Vincent Martigny (Flammarion) et "Manifeste des espèces compagnes : chiens, humains et autres partenaires" de Donna Haraway (Climats).
- Laurent Etre Journaliste Culture et Savoirs à l’Humanité
- Thibaut Sardier Journaliste à Libération
Première diffusion le 18 mai 2019
Deux livres qui se penchent sur le rôle des histoires qui sous-tendent la politique. Des histoires d’incarnation d’abord, de chefs en démocratie dont le politiste Vincent Martigny décortique les mécanismes passés et contemporains. Le retour du Prince, publié chez Flammarion, est une réflexion machiavélienne – évidemment – sur ce drôle de paradoxe : alors que les citoyens n’ont jamais autant demandé de participation démocratique, les hommes forts ont le vent en poupe… et le pouvoir de s’incarner dans des figures proches de la fiction. Des histoires de chiens, ensuite, dans le Manifeste des espèces compagnes : chiens, humains et autres partenaires de la philosophe et biologiste américaine Donna Haraway, publiée aux éditions Climats. Son pari, audacieux, prendre notre relation avec les chiens au sérieux pour développer une « étique et une politique » sur fond d’histoires d’amour, de pouvoir, de conflits raciaux et d’idéologie coloniale.
Vincent Martigny - Le retour du prince
Je vous propose de commencer par le livre de Vincent Martigny, Le retour du prince, sorti chez Flammarion. Vincent Martigny est maître de conférences en science politique à l’École polytechnique, chercheur associé au Cevipof. Ses recherches portent notamment sur les manifestations contemporaines du nationalisme français, les débats relatifs à « l’identité nationale », et les usages politiques de la culture. Il avait publié en 2016 aux Presses de Sciences Po Dire la France. Culture(s) et identités nationales. Signalons enfin qu’il a produit sur France Culture pendant plusieurs années l’Atelier du Pouvoir.
La question que pose ce nouvel essai est assez simple : comment comprendre que les mêmes citoyens qui demandent une plus grande participation démocratique, soient enclins à porter au pouvoir des hommes – plus rarement des femmes – qui incarnent une figure politique qu’on pensait sinon évanouie, du moins affaiblie : celle du Prince. Par Prince, Vincent Martigny entend des dirigeant forts, bien entendu, mais surtout des leaders dans lesquels s’incarne le pouvoir.
Une incarnation qui n’est pas nouvelle en politique, loin de là, résultat si on regarde notre époque contemporaine de l’individualisation des sociétés, de la montée en puissance du pouvoir exécutif… mais aussi, et c’est l’un des apports de ce livre, d’une évolution des relations entre le réel et le récit.
Dépolitisation des citoyens, storytelling en continu, critique des médias, vitrification de l’opposition, abolition des contre-pouvoirs, affranchissement du réel… Tous ces événements sont analysés comme phénomènes médiatiques. Les séries ont remplacé le théâtre dans l’imaginaire politique et ça a des conséquences. Mais au final, ce désir d’avoir des chefs, et le recul démocratique qu’il génère, est de la responsabilité des citoyens.
Vincent Martiny nous invite à réinvestir les pratiques démocratiques, à les développer, à nous désintoxiquer de notre addiction plus ou moins marquée pour les chefs. Pour lui, il faut analyser les ressorts du pouvoir tel qu'il est aujourd'hui, tel qu'il est exercé par les chefs contemporains[...] C'est la condition pour ensuite s'en affranchir. (Laurent Etre)
Vincent Martiny pointe deux risques celui du désenchantement de la sphère politique celui de la relativisation de la question morale en politique (comme si la morale n'avait plus vraiment d'importance et que les citoyens eux-mêmes se disent que l'important c'est la conquête du pouvoir et que tout cela est bien normal). (Thibaut Sardier)
Donna Haraway - Manifeste des espèces compagnes : chiens, humains et autres partenaires
Deuxième temps de l’émission, je vous propose maintenant de nous intéresser au Manifeste des espèce compagnes : chiens, humains et autres partenaires, publié aux éditions Climats. Son auteur, Donna Haraway, est une philosophe et biologiste américaine, professeure émérite au département de sciences humaines de l’université de Californie à Santa Cruz.
C’est une figure majeure du féminisme, pionnière de la déconstruction des divisions catégorielles, à commencer par la construction du genre. Marxiste, passeuse de la French theory… elle a signé un livre culte sorti en 1985 aux États-Unis, un Manifeste Cyborg qui tentait de formuler une interprétation féministe des implosions de la vie contemporaine sous l’effet des technosciences.
Le manifeste qui nous occupe ce soir est une actualisation de cette démarche théorique… Sorti originellement en 2003, il avait déjà été publié en 2010 aux éditions L’Éclat… Il ressort donc dans une nouvelle traduction de Jérôme Hansen, avec une préface de la philosophe belge Vinciane Despret. On y retrouve le goût de Donna Haraway pour la provocation et les affirmations qui peuvent sembler fantaisistes, du genre : "Je considère l’écriture canine comme une branche de la théorie féministe, ou inversement "…
Ce concept d’espèces compagnes, exploré à travers des histoires qui prennent au sérieux notre relation avec les chiens, se révèle un outil assez puissant pour penser « une éthique et une politique dévolue à la prolifération des relations avec des êtres autres qui comptent ». Au final, les enjeux abordés d’amour, de pouvoir, de conflits raciaux et d’idéologie coloniale émergent, en dehors de tout anthropocentrisme.
On a l'impression que Donna Haraway enfonce des portes ouvertes quand elle parle de la danse conjointe des êtres qu'elle met en valeur toute cette harmonie du maître avec son chien, on pourrait voir la même chose dans la complicité du cavalier avec son cheval et ce qui m'interpelle c'est que je ne vois pas très bien la plus-value qu'apporte ce détour par les chiens pour penser l'altérité car en fait c'est le but de sa démarche. (Laurent Etre)
C'est un travail pour mieux comprendre la coévolution et les relations des humains et des non-humains. Ceci par niveau de grandeur : - l'échelle de la vie des individus (relation qui peut se nouer à l'échelle d'une vie entre deux individus) - le temps évolutif à l'échelle de la terre (on approche alors l'évolution biologique et génétique) et entre les deux on retrouve - le temps de l'histoire sur des décennies ou des siècles. La relation homme/chien se justifie ici par la recherche sur la présence du chien avec l'homme sur le temps long. (Thibaut Sardier)
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L'instant critique
Thibaut Sardier a envie de nous parler de l'exposition qui se tient actuellement au Centre Pompidou à Paris " Préhistoire, une énigme moderne" jusqu'au 16 septembre 2019. Laurent Etre nous propose en écho le documentaire inédit d'Arte " 36 000 ans d'art moderne, de Chauvet à Picasso" à voir le dimanche 19 mai 2019 à 17h35 et en replay jusqu’au 26 mai 2019.
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