Le stade "Clash" du capitalisme ?

Le vrai compte Twitter de Donald Trump est visible sur un téléphone mobile Android.
Le vrai compte Twitter de Donald Trump est visible sur un téléphone mobile Android. ©Getty - Omar Marques / SOPA Images / LightRocket
Le vrai compte Twitter de Donald Trump est visible sur un téléphone mobile Android. ©Getty - Omar Marques / SOPA Images / LightRocket
Le vrai compte Twitter de Donald Trump est visible sur un téléphone mobile Android. ©Getty - Omar Marques / SOPA Images / LightRocket
Publicité

Ce soir comme chaque semaine deux essais sous les feux de la critique : "L'ère du clash" de Christian Salmon (Fayard) et "Eros capital. Les lois du capitalisme amoureux" de François de Smet (Climats).

Avec

Deux livres qui se penchent chacun à leur façon sur le marché, sous des angles peu communs. D’abord par l’économie de l’attention et du pouvoir au cœur de l’Ère du clash, le dernier essai de l’écrivain Christian Salmon, publié chez Fayard. L’auteur, qui a popularisé en 2007 l’idée de storytelling, annonce ici tout bonnement la mort de cette domination du récit… et nous montre le triomphe du clash parfaitement incarné par Donald Trump. Navigant entre analyse des réseaux sociaux, de la politique et de l’entertainment, Christian Salmon fait l’éloge funèbre de la vérité. Le sujet est tout autre dans le livre de François de Smet, Eros Capital. Les lois du capitalisme amoureux publié aux éditions Climats, mais il se penche aussi sur l’évolution que constitue Internet dans l’économie du couple, sur le marché amoureux. Les sentiments comme valeur marchande… romantiques, s’abstenir.

Christian Salmon - L’Ere du clash

Je vous propose de commencer par le livre de l’écrivain Christian Salmon, l’Ere du clash, publié chez Fayard. L’auteur est membre du Centre de Recherches sur les Arts et le Langage (CNRS) et avait fondé en 1993, avec l’appui de plus de trois cents intellectuels, le Parlement International des Écrivains. Il a collaboré à plusieurs journaux dont Libération et Le Monde et depuis 2013 il est éditorialiste pour le journal en ligne Mediapart. Ce dernier livre est présenté par l’éditeur comme la suite de « Storytelling », l’essai qui l’avait fait connaître en 2007 et dans lequel Christian Salmon décortiquait la « machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits » : la victoire de la communication et des spins doctors.

Publicité

Suite et fin du storytelling serait-on tenté de dire puisque l’ère du clash est précisément l’ère de la fin des histoires… mortes d’avoir été trop racontées. En effet, selon Christian Salmon un ouragan emporte nos sociétés hyperconnectées et hypermédiatisées… Il ne prend plus la forme de la manipulation mais celle de la défiance, de la vérité alternative et finalement du clash. Le triomphe de l’art de raconter des histoires a entraîné le discrédit de la parole publique… et donc la situation politique actuelle. Ou plutôt là encore devrait-on dire la situation de sortie du politique.

L’auteur décortique cette logique du clash, qui mène à la spirale du discrédit et à la guerre des récits… qu’il relie à la volonté grandissante de contrôler l’incertitude par l’outil numérique et notamment les algorithmes. Le livre s’ouvre sur une référence  au grand écrivain albanais Ismaïl Kadaré et à son roman Le Palais des rêves, publié au début des années 80. Lu alors comme une critique du système totalitaire d’Enver Hodja et de sa volonté de contrôle absolu, il incarne parfaitement selon Salmon notre époque numérique qui a réalisé le cauchemar décrit dans Le Palais des rêves

Ce qui est intéressant dans ce nouveau livre sur l'ère du clash c'est qu'il va presque déconstruire son modèle précédent en expliquant que le storytelling est un modèle périmé, qu'aujourd'hui il n'a plus de sens et c'est substitué à cette manière de raconter des histoires (dont les effets sont connus dans la politique, dans l'histoire, le marketing...dans tous les domaines de la vie). Il y a comment la fin d'un modèle est substitué par ce qu'il appelle le clash. (Jean-Marie Durand)

Il fait une histoire politique et économique  de la post-vérité. Il parle d'une ère du chaos  qui laisse peut de place à la délibération démocratique, au récit collectif et même tout simplement à la parole (...) Que les vérités font débat et comment se les attribuer ou pas. Exemple : Donald Trump dans son discours d'investiture dit qu'il y a beaucoup de monde alors que c'est faux. La question que pose Christian Salmon c'est quelle est encore la valeur du récit quand le vrai n'a plus véritablement sa place. (Thibaut Sardier)

François de Smet - Eros capital. Les lois du capitalisme amoureux 

Deuxième temps de l’émission, nous allons nous pencher maintenant sur le livre de François de Smet, Eros Capital : Les lois du marché amoureux, publié aux éditions Climats. L’auteur est philosophe, collaborateur scientifique à l’Université libre de Bruxelles, directeur du Centre fédéral Migration Myria qui analyse la migration, défend les droits des étrangers et lutte contre la traite et le trafic des êtres humains… il est aussi chroniqueurs dans différents médias belges. Bref c’est un essayiste qui a plusieurs cordes à son arc et qui s’était fait connaître en France en 2014 lors de la publication d’un court et vif essai aux PUF intitulé Reductio ad Hitlerium… qui était une tentative de théorie du Point Godwin.

Il est question de tout autre chose ici, quoiqu’on puisse trouver une certaine continuité dans le souci de décortiquer les mécanismes du politiquement correct. Ce nouvel essai défend l’idée selon laquelle, derrière les beaux mots de liberté d’aimer qui sont au cœur du projet moderne, se cache en réalité un marché qui ne dit pas son nom et qui recèle par nature inégalités, cruautés et absence de réciprocité. Ce « continuum économico-sexuel » incarnerait un réel qui s’oppose au discours ambiant sur la séparation entre les sentiments, l’amour, le couple et les notions d’intérêt ou pire de marché.

Je le disais tout à l’heure, romantiques s’abstenir, mais on pourrait ajouter un autre avertissement pour les défenseurs du projet Moderne, de l’émancipation du sujet comme individu libre, et des défenseurs d’une grille de lecture constructiviste des relations de genre. Car, et c’est l’élément polémique de cet ouvrage, François de Smet assume un point de vue naturaliste qui mélange les apports des sciences sociales et ceux de la biologie, de la génétique des sciences cognitives… Il s’insère en cela dans un débat qui n’a pas fini de nous occuper dans cette émission.

Il ne cesse d'opposer à longueur de page ce qu'il appelle une tendance existentialiste (du côté des sciences humaines) selon laquelle  un patriarcat séculaire aurait asservi la femme (...) "On ne naît pas femme on le devient" (fameuse citation de Simone de Beauvoir), il y aurait donc autodétermination. Il rejette absolument cette thèse. Pour lui on ne peut pas s'abstraire d'une histoire naturelle et il se place du côté de la psychologie évolutionnaire en s'appuyant sur les apports  de la génétique, des neurosciences.(...) on arriverait à mieux comprendre les inégalités actuelles (Thibaut Sardier)

C'est un livre intéressant, assez stimulant, assez riche qui pose beaucoup de questions, qui dérange, parfois scandalise... (...) François de Smet essaye de lever un tabou qui n'est pas inintéressant. il explique que le tabou aujourd'hui c'est de penser que les relations sentimentales et sexuelles d'ailleurs (...) dans un Occident pétri de liberté, égalité, romantisme se déploient en fait dans des relations d'intérêt. (Jean-Marie Durand)