Omniprésence et limites du marché

Une femme regarde un tableau intitulé "Portrait de Mao" (2003) peint par l'artiste chinois Yan Pei-Ming (musée des Abattoirs à Toulouse en 2011)
Une femme regarde un tableau intitulé "Portrait de Mao" (2003) peint par l'artiste chinois Yan Pei-Ming (musée des Abattoirs à Toulouse en 2011) ©AFP - Eric cabanis
Une femme regarde un tableau intitulé "Portrait de Mao" (2003) peint par l'artiste chinois Yan Pei-Ming (musée des Abattoirs à Toulouse en 2011) ©AFP - Eric cabanis
Une femme regarde un tableau intitulé "Portrait de Mao" (2003) peint par l'artiste chinois Yan Pei-Ming (musée des Abattoirs à Toulouse en 2011) ©AFP - Eric cabanis
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Comme chaque semaine deux essais sous les feux de la critique : "Demain la Chine : démocratie ou dictature ?" (Gallimard) et "Ce qui n'a pas de prix : beauté, laideur et politique " d'Annie Lebrun (Stock).

Avec

Deux livres qui, chacun à sa façon, interroge les effets positifs du marché. Dans _Demain la Chine : Démocratie ou Dictature ?_publié chez Gallimard, le sinologue Jean-Pierre Cabestan dément la thèse commune d’une libéralisation du régime politique sous l’effet de l’économie de marché. Ou comment discuter encore Francis Fukuyama… Dans un tout autre registre, le second essai dont nous allons parler ce soir est une charge contre la marchandisation de l’art contemporain, et contre son rapprochement avec le monde du luxe. L’écrivain Annie Le Brun signe Ce qui n’a pas de prix : beauté, laideur et politique, chez Stock. Ou quand l’enlaidissement du monde devient une affaire politique. 

Pour en parler nous sommes en compagnie d'Eugénie Bastié et Aliocha Wald Lasowski.

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Jean-Pierre Cabestan - Demain la Chine : démocratie ou dictature ?

Il s’agit bien ici de s’inscrire dans un débat qui court depuis plusieurs années, au moins depuis le fameux essai de Francis Fukuyama La fin de l’histoire et le dernier homme – qui a été tant commenté et caricaturé depuis 1992. On assiste à un mouvement inéluctable vers la démocratisation, et surtout il ne peut y avoir d’économie de marché florissante sans libéralisme économique et politique. Appliquée à la Chine, cette thèse a mené ces dernières années de nombreux observateurs à prévoir l’écroulement prochain du régime. N’importe quel soubresaut de l’économie, de la société civile ou du Parti Communiste sont perçus comme les prémices d’un changement politique… en faveur de la démocratie bien sûr.

Le livre de Jean-Pierre Cabestan, dans la collection « Le Débat »,  vient doucher ce bel optimisme. Directeur du département de science politique et d’études internationales de l’université baptiste de Hong Kong et directeur de recherche au CNRS… le sinologue parie lui sur une adaptabilité et une résistance encore longue du régime. Il se risque même à une prévision, au moins 20 ans, 30 ans ne l’étonnerait pas. 

A l’appui de sa thèse, il décortique l’histoire du système chinois actuel, le rôle important de la bureaucratie, la fragilité de la culture démocratique qui ne peut compter ni sur une société civile embryonnaire, ni sur des élites qui ont intérêt au statu quo. Et finalement pour répondre à la question du titre de l’essai, demain la Chine sera plus certainement un régime autoritaire et impérial qu’une démocratie. 

Ce qui est très intéressant ce sont toutes les nuances mises en œuvre par Jean-Pierre Cabestan dans son livre. Il analyse en effet, tout ce qui est en mutation, transformation, évolution… Il montre qu’il faut s’inscrire dans le temps long, inscrire la Chine dans toute son histoire […] Les mutations se font très lentement dans la société chinoise car il y a beaucoup de conservatisme dans cette société. (Aliocha Vad Lasowski)

C’est une bonne introduction au fonctionnement du régime chinois quand on n’y connaît rien. Surtout ce que j’ai bien aimé, c’est que l’auteur ce risque à faire des pronostics, donner des avis tranchés. Ce n’est pas juste une exposition des forces en présence. (Eugénie Bastié)

Annie Le Brun - Ce qui n’a pas de prix : beauté, laideur et politique

La romancière et essayiste y poursuit sa déploration de la bêtise et de la laideur, marque d’une époque dominée par la société de consommation. Elle qui publiait en 2000 Du trop de réalité, (Stock), persiste à penser, comme elle le rappelle dès l’introduction, que « trop d’objets, trop d’images, trop de signes se neutralisent en une masse d’insignifiances, qui n’a cessé d’envahir le paysage pour y opérer une constante censure par l’excès ». 

Dans ce dernier essai, la spécialiste de Sade semble nous dire « Français encore un effort si vous voulez échapper aux affres de la marchandisation ». Elle entend montrer comment nous nous berçons d’illusions en croyant à l’émancipation de chacun par la culture, alors que celle-ci est marquée ces dernières années par sa collusion avec le monde de la finance. En ligne de mire, l’art contemporain dont la force subversive est un leurre… pire, en se rapprochant du luxe, en se transformant en marché, l’art contemporain serait devenu un des principaux facteurs de notre aliénation.

Pour Annie Le Brun, qui défend une vision pour le moins radicale de ce qu’elle estime être l’art… l’enjeu est politique. Car en diffusant globalement le laid en prétendant à l’esthétisation du monde, en faisant triompher ce qu’elle appelle « l’art des vainqueurs », toute critique est devenue impossible. Défendre le beau, c’est donc défendre ce qui n’a pas de prix au sens premier, ce qui ne peut être vendu.

Ce qu’Annie Lebrun dénonce c’est la financiarisation de l’art, à travers l’art contemporain et la spéculation autour des œuvres. Elle cite bien sûr les artistes les plus connus comme Jeff Koons, Damien Hirst, etc. et elle dénonce ce qu’elle appelle le réalisme globaliste, c’est-à-dire l’art officiel de la mondialisation. (Eugénie Bastié)

Elle a une analyse philosophique qui me semble intéressante, elle montre comment il faut essayer de redonner à l’art sa liberté de transformer les choses. C’est-à-dire de modifier notre rapport au monde, de redéplacer le geste critique. Et ce qui est important : le discours sur l’art où en est-il aujourd’hui ? (Aliocha Vad Lasowski)

L'instant critique

.Aliocha Wald Lasowski est venu avec le disque d'Olivier Glissant (Black Salt records) un disque d'un compositeur de musique qui travaille avec le Brooklyn orchestra, un ensemble qui travaille sur les nouvelles musiques du monde et tout particulièrement des Amériques. Nous écouterons "Charmeuse de serpents".  Eugénie Bastié nous propose de nous plonger dans le 200e numéro du Débat. Un des thèmes principaux est le masculin en révolution , et parmi les nombreux articles vous pourrez lire un article passionnant de Marcel Gauchet intitulé "La fin de la domination masculine".

Le disque D'Olivier Glissant
Le disque D'Olivier Glissant

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