Ce soir comme chaque semaine deux essais sous les feux de la critique : Éric Charmes, "La revanche des villages : essai sur la France périurbaine" (éditions du Seuil) et Delphine Horvilleur, "Réflexions sur la question antisémite" (Grasset).
- Catherine Portevin Chef de la rubrique livres pour Philosophie Magazine
- Joseph Confavreux Journaliste pour le site Médiapart, rédacteur en chef de la Revue du Crieur
Deux livres très différents par leurs sujets et leur démarche, mais qui posent tout de même chacun à leur façon la question du repli sur soi. Repli géographique d’abord dans La revanche des villages publié au Seuil dans la collection « La République des idées ». Le chercheur Éric Charmes propose de déconstruire un certain nombre de clichés sur la France périurbaine et l’opposition entre ville et campagne. Pour au final proposer une photographie de la France qui permet de mieux en comprendre les évolutions et soubresauts politiques. Le second essai dont nous parlerons ce soir se penche lui sur le repli identitaire, celui qui préside à la haine des juifs : Réflexion sur la question antisémite de Delphine Horvilleur est publié chez Grasset et propose d’analyser ce que les textes sacrés, la tradition rabbinique et les légendes juives disent de l’antisémitisme.
Éric Charmes - La revanche des villages : essai sur la France périurbaine
Je vous propose de commencer par le livre d’Éric Charmes, La revanche des villages : essai sur la France Périurbaine publié aux éditions du Seuil dans la collection « La République des idées ». L’auteur est géographe, chercheur en sciences sociales appliquées à l’urbain. Il est directeur du laboratoire Recherches interdisciplinaires ville, espace, société (RIVES). Ses travaux portent sur les usages de la rue, les espaces publics, les gated communities et la territorialisation résidentielle. Cet essai est tiré de ses dernières recherches sur les petites communes résidentielles des périphéries des grandes métropoles. Il avait notamment déjà publié La Ville émiettée. Essai sur la clubbisation de la vie urbaine (PUF, 2011).
L’objectif ici est clair, il s’agit de tordre le cou de manière assez efficace à l’idée de France périphérique, en s’appuyant sur les dernières découvertes en géographie, en sociologie, en économie et en sciences politiques. Ce que nous dit Éric Charmes, c’est que l’opposition ville-campagne est dépassée et ne perdure plus que dans les paysages, il faut donc se sortir d’un certain nombre de malentendus qui persistent avec cette idée. Il explore donc tour à tour la thèse de l’urbanisation des campagnes, l’impact environnemental de ce mouvement, la relation entre le vote Front National et la valeur existentielle de la vie dans ces campagnes urbaines et enfin la nouvelle répartition du pouvoir politique induite par ce phénomène.
Les questions qui sont posées sont celle du choix ou non de ceux qui vivent dans ces espaces périurbains, de leur relégation ou non par rapport au reste du territoire national et finalement sur la réalité ou non de ce que disent aujourd’hui les Gilets Jaunes… même si le livre a été écrit avant le déclenchement du mouvement.
Eric Charmes, d'une certaine manière, réhabilite le périurbain, un espace notamment que la gauche n'a jamais beaucoup aimé, la gauche communiste voyait dans l'habitat individuel le contraire de l'habitat collectif, et la gauche écologique a longtemps critiqué l'étalement urbain (et en partie à raison...) (...) Il souhaite poser un regard neuf et précis sur ces espaces mal aimés. (Joseph Confavreux).
Pourquoi veut-on vivre dans le périurbain ? : Eric Charmes donne l'exemple de la bien nommée commune de "Château-Fort", commune de 1400 habitants, un village club complètement bourgeois. (...) ce qu'il peut critiquer dans la clubisation c'est l'agir ensemble dans les villages choisis qui peut se résumer ainsi : comment éviter que des indésirables s'installent, comment défendre son cadre de vie, avoir des services publics qui fonctionnent à plein... (Catherine Portevin)
Delphine Horvilleur - Réflexions sur la question antisémite
Deuxième temps de l’émission je vous propose de nous intéresser maintenant au livre de Delphine Horvilleur, Réflexions sur la question antisémite publié chez Grasset. Rabin du mouvement juif libéral de France, Delphine Horvilleur dirige aussi la rédaction de la Revue de pensée juive Tenou’a et interroge depuis plusieurs ouvrages les liens entre le fait religieux et la société. C’était par exemple le cas pour la question de la place des femmes dans En tenue d’Ève : féminin pudeur et judaïsme en 2013 ou Des mille et une façons d’être juif ou musulman avec l’islamologue Rachid Benzine paru en 2017 au Seuil.
Le titre de ce dernier essai est évidemment une référence au livre de Jean-Paul Sartre paru en 1946 Réflexion sur la Question juive … dont on cite souvent l’idée centrale : « Le Juif est un homme que les autres hommes tiennent pour Juif ; voilà la vérité simple d'où il faut partir [...] c'est l'antisémite qui fait le Juif ». Delphine Horvilleur décide de retourner la focale, car après tout il y a eu des juifs et même une haine des juifs avant l’antisémitisme, notion forgée au 19e siècle, et de chercher dans les textes sacrés, la tradition rabbinique ou encore les légendes ce que les premiers intéressés disent, comprennent de ce phénomène.
Partant du principe que l’antisémitisme n’est pas le problème des juifs mais toujours et d’abord celui des antisémites, de ceux qui les tolèrent ou les nourrissent, l’auteure mène l’enquête dans des sources traditionnelles et semble paradoxalement toujours se positionner comme étant extérieure au problème. Elle établit bien les grandes composantes de l’antisémitisme, notamment le fait de voir ce peuple toujours accusé de tout et son contraire, d’être à la fois dispersé et à part, mêlé mais refusant de se mélanger, indiscernable mais non assimilable. Elle montre surtout que la réponse apportée consiste à n’enfermer ni les victimes dans leur douleur, ni ce qui est plus surprenant le bourreau dans sa haine. Le refus de cette fatalité est au cœur de la réflexion de Delphine Horvilleur.
La vertu de Delphine Horvilleur, c'est son amour de l'interprétation , son amour du texte, des mots, on apprend beaucoup de choses... Bien sûr les interprétations qu'elle donne des textes (c'est normal) seront contredites par d'autres interprétations et c'est ça le jeu. Juif ou non juif, elle nous fait entrer dans ce plaisir de l'interprétation, que je trouve vraiment stimulant. (Catherine Portevin).
C'est un livre que je trouve brillantissime (...) Soit l'antisémitisme est sous-estimé, soit il est instrumentalisé (...) Delphine Horvilleur s'inscrit, avec ce livre, dans un moment très tendu et elle arrive comme si elle s'élançait vers un sommet de 8000 mètres et qu'elle en ouvrait la voie... Elle choisit ce sujet piégé qu'on pourrait même dire rebattu en l'abordant par la littérature rabbinique. Elle produit une thèse très originale car elle part de la question : Pourquoi la haine des juifs est partout présente ?) (Joseph Confavreux)
Choix musical : " Evidemment " de Lomepal, album Jeannine.
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L'instant critique
Nous parlerons d'un article du n°171 de la revue Hérodote intitulée "Géopolitique de l'Amérique latine". Nous avons choisi l'article de Marc Saint-Upéry et Pablo Stefanoni : "Le cauchemar de Bolívar : crise et fragmentation des gouvernements de l’Alba" (pages 7 à 27).
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