Ce soir comme chaque semaine, deux essais sous les feux de la critique : "Qu’est-ce qu’une plante ? Essai sur la vie végétale" de Florence Burgat (Seuil) et "Manières d’être vivant. Enquêtes sur la vie à travers nous" de Baptiste Morizot (Actes Sud).
- Catherine Portevin chef de la rubrique livres pour Philosophie Magazine
- Thibaut Sardier Journaliste à Libération
Deux livres pour repenser le vivant. Avec Qu'est-ce qu'une plante ?, publié au Seuil, Florence Burgat propose un « essai sur la vie végétale », contre le confusionnisme ambiant. Face à la multiplication et au succès des livres sur la vie secrète des arbres, la communication végétale ou le cri de la carotte, la philosophe entreprend un travail de distinction. Elle revient ainsi à la définition du « vivant » : quand un animal, ou un humain, est soit vivant soit mort, la mort végétale elle est toute relative… un mode d’être radicalement différent qu’elle place au cœur de sa réflexion. Car, pour reprendre le titre du second essai dont il sera question ce soir, il y a plusieurs « Manières d’être vivant »… Manières d’être vivant c’est le dernier livre de Baptiste Morizot, publié chez Acte Sud. Le philosophe et pisteur, adepte de la recherche action, nous entraîne sur les traces des loups… entre carnet d’expédition et enquête sur notre animalité… pour montrer comment le concept de nature, contribue aux bouleversements écologiques.
Florence Burgat - Qu’est-ce qu’une plante ?
Je vous propose de commencer par le livre de Florence Burgat Qu’est-ce qu’une plante ? Essai sur la vie végétale publié au Seuil dans la collection « La Couleur des Idées ». Florence Burgat est philosophe, directrice de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (INRAE), et travaille sur la condition animale dans les sociétés industrielles, sur le droit animalier… elle mène aussi des recherches anthropologique afin de répondre à cette question : comment expliquer qu’une société comme la nôtre, policée et tranquille, puisse encore accepter des lieux retirés où l’on égorge des animaux pour les manger, alors que les ressources alimentaires dont nous disposons nous en dispensent ? Une réflexion qui a donné son précédant essais, L’humanité carnivore.
Florence Burgat est une végétarienne revendiquée, et cela nourrit sa réflexion. Ici, elle réagit à un argument opposé de plus en plus régulièrement à ceux qui refusent de se nourrir de viande par refus de participer à un système qui repose sur la souffrance animale : et la souffrance des plantes ? Le fameux « cri de la carotte » est ainsi opposé à la fois ironiquement et sérieusement aux défenseurs des animaux. Un mouvement qui a pris de l’ampleur avec le succès d’ouvrages qui ont montré que la vie végétale était une vie en réseau, qu’on y trouverait de la communication, de l’entraide et même une volonté.
Le Best Seller de Peter Wohlleben La Vie Secrète des Arbres est bien entendu en ligne de mire, mais aussi l’A_pologie du Carnivore_ de Dominique Lestel ou La Vie des plantes. Une métaphysique du mélange d’Emanuele Coccia. Pour Florence Burgat ça ne fait pas de doute, cette indiscrimination de tout le « vivant » est une erreur, on ne protège pas les plantes pour les mêmes raisons qu’on protège les animaux.
Elle laisse de côté un petit peu, ce qui fait la particularité de cette vie des plantes. Elle nous montre que c'est difficile, qu'on ne peut pas se mettre à la place des plantes, mais qu’il est important de comprendre un peu mieux comment fonctionne leur vie. Et puis surtout, qu'est ce que nous, humains, dans ce contexte d'interrogations sur la crise écologique, on peut faire pour l'instant. Elle consomme un petit peu cette rupture entre l'animal et la plante, mais sans nous dire le rôle que nous pourrions jouer. Comment nous pourrions considérer ce vivant végétal ? (Thibaut Sardier)
La fixité de la plante implique notamment que l'être immobile n'a pas besoin d'être centré sur lui-même, qu'au contraire, il est effectivement une forme constamment ouverte. Mais du coup, la plante existe-t-elle ? On arrive sur la question qui n'est plus vraiment la question ontologique qu'est-ce que c'est qu'une plante ? Est-ce que même ça existe ? [...] Elle y répond avec beaucoup de doutes. (Catherine Portevin)
Baptiste Morizot - Manières d’être vivant
Deuxième temps de l’émission, je vous propose de nous pencher maintenant sur le livre de Baptiste Morizot, Manières d’être vivant. Enquête sur la vie à travers nous, publié aux éditions Acte Sud dans la collection « Mondes Sauvages ». Philosophe et pisteur, on y reviendra, Baptiste Morizot est maître de conférences à l'Université d'Aix-Marseille, il est l’auteur déjà de deux essais sur le même sujet : Diplomates. Cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant (Wildproject, 2016) et _Sur la Piste animale (_Acte Sud, 2018). Ce sujet quel est-il ? Comment imaginer une politique des interdépendances, qui allie la cohabitation avec des altérités, à la lutte contre ce qui détruit le tissu du vivant ?
Pour Baptiste Morizot, comme il le dit dès les premières pages de Manières d’être vivant, la crise écologique est une crise des sociétés humaines capables de mettre en danger la qualité voir la possibilité même de nos existences ; une crise du vivant sous la forme d’une « sixième extinction des espèces » ; mais c’est aussi, et c’est ce qui l’intéresse ici, une crise de nos relations au vivant, une crise de la sensibilité. Petit à petit, nous avons laissé s’appauvrir ce que nous pouvons sentir, percevoir, comprendre, et donc tisser comme relations à l’égard du vivant.
La cause est simple, elle est pointée du doigt par tout un courant de pensée depuis Philippe Descola : nous avons pris pour habitude de considérer tout ce qui n’était pas humain comme appartenant à la Nature. La Terre se divise donc entre une espèce et dix millions d’autres… Elle impose aussi d’aller puiser à la source de la philosophie des affects, qui interrogent aussi la position du chercheur et l’écriture de Baptiste Morizot.
C’est là que l’expérience du pisteur intervient… par l’attention qu’il prête aux signes, et sa faculté à les interpréter, il peut nous guider pour transformer le champ de l’attention, le transposer vers ce qui importe. L’essai est composé de six textes, de nature différente, mais qui ont en commun leur dimension poétique.
Moi, j'aime bien cette façon de défendre une philosophie de terrain. Baptiste Morizot se rattache à Deleuze, qui parlait de la question de l'invention des concepts. Ils ne s'inventent pas depuis le ciel mais depuis le terrain, et je trouve que c'est très précieux. Baptiste Morizot, essaye vraiment de creuser le terrain des philosophes qui n'est ni le terrain des éthologues, ni celui des sciences sociales [...] C'est un grand plaisir de lecture car il y a un art du récit formidable. Mais il y a aussi toute la question du langage. Elle est très importante aussi, en effet comment parler avec les loups, comment parler aux loups ? Et surtout comment parler des loups ? (Catherine Portevin)
La bonne manière, peut être d'être vivant, c'est de se sentir PANanimal, c'est-à-dire comme tout animal, être un corps qui porte aussi toute une histoire de l'évolution, toute une histoire biologique. Baptiste Morizot parle d'une approche inséparée du vivant qui fait qu'on a une sédimentation de dispositifs dans le corps produit par une histoire. Autrement dit, toute l'évolution se retrouve en nous. On est d'une certaine façon le produit d'un héritage issu des végétaux et d'autres animaux. C'est aussi un point de départ pour essayer de se projeter vers ce monde animal avec lequel on s'est quand même coupé depuis au moins un siècle. (Thibaut Sardier)
>>>Choix musical : Ausgang "Crapule" (Casey)
L'instant critique
Catherine Portevin à choisit de nous parler d'un poète qui a reçu le prix Apollinaire en 2013 (prix de poésie du monde français et francophone), il s'agit de Frédéric-Jacques Temple pour son dernier livre paru dans la collection Poésie chez Gallimard La chasse infinie et autres poèmes. Une poésie qui charrie toute l'histoire du vivant.Thibaut Sardier met l'accent sur les difficultés actuelles des chercheurs en France et nous conseille de consulter le site Archives ouvertes dans lequel s'exprime le géographe Renaud Le Goix.
Pour écouter Baptiste Morizot sur France Culture
La Grande Table du 4 février 2020 : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/comment-vivre-parmi-les-autres
La suite dans les idées du 22 février 2020 : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/comment-vivre-parmi-les-autres
L'équipe
- Production
- Réalisation
- Collaboration