Ce soir comme chaque semaine deux essais sous les feux de la critique : "No Society : la fin des classes moyennes occidentales" de Christophe Guilluy (Flammarion) et "Pour un populisme de gauche" de Chantal Mouffe (Albin Michel).
- Vincent Trémolet de Villers Journaliste, directeur adjoint de la rédaction du Figaro.
- Jean-Marie Durand journaliste indépendant
Deux livres qui portent un certain regard sur l’actualité des classes sociales. Dans No Society : la fin des classes moyennes occidentales, publié chez Flammarion, le géographe Christophe Guilluy continue de dessiner les contours de ce qu’il a appelé la France périphérique… entre fracture territoriale et fracture sociale, il propose d’expliquer la vague populiste qui traverse le monde occidental comme une réaction des classes populaires à la sécession des classes dirigeantes… comme une volonté de refaire société. Il est aussi question de ce « moment populiste » dans le dernier essai de Chantal Mouffe : Pour un populisme de gauche sorti chez Albin Michel. La philosophe pose elle aussi la nécessité de tracer une frontière entre le peuple et l’oligarchie… mais elle va plus loin en revendiquant la nécessité de mettre en œuvre une véritable stratégie populiste pour approfondir et radicaliser la démocratie.
Christophe Guilluy - No Society : la fin de la classe moyenne occidentale
Je vous propose de commencer par le livre de Christophe Guilluy, No Society : la fin de la classe moyenne occidentale publié chez Flammarion. L’auteur, géographe, y poursuit une réflexion entamée en 2 000 avec un Atlas des fractures françaises publié à l’Harmattan, puis dans deux essais remarqués et très discutés : La France Périphérique en 2014 et Le Crépuscule de la France d’en Haut en 2017.
Il s’agit ici d’expliquer la vague populiste qui traverse l’Europe mais aussi les États-Unis par ce que l’auteur identifie comme une double insécurité : insécurité sociale – liée aux effets du modèle économique – et insécurité culturelle liée à l’émergence de la société multiculturelle. Le phénomène frappe des classes moyennes, dont Christophe Guilluy nous dit d’emblée que c’est une catégorie floue. Elle se caractérise tout de même par un point commun : son opposition à une élite qui aurait fait sécession, pour reprendre les analyses de l’américain Christopher Lasch largement cité dans cet essai.
Relégués territorialement dans le monde des périphéries – il faudra revenir évidemment sur cette notion – les classes moyennes se dissolvent et avec elles la possibilité de faire société… donnant naissance à ce que Guilluy appelle des « sociétés relatives ».
Cette décomposition de la classe moyenne (…) fait qu’il y a une rupture extrêmement forte, fondamentale, entre ce qu’il appelle des nouvelles classes supérieures, et ces nouvelles classes populaires qui ne sont pas très bien définies sociologiquement : les ouvriers, les paysans, les petits indépendants, ceux qui estiment vivre dans une France oubliée et reclue. (Jean-Marie Durand)
Ce qui le distingue aussi d’un certain nombre de gens qui établissent ces différences entre peuple et élite, c’est que beaucoup assurent que les élites ont gagné et que le peuple est en train de vivre ses derniers [instants]. (…) Il pense exactement l’inverse, il a une espèce de certitude assez étonnante (…), sur la victoire, sur l’hégémonie de ces classes moyennes pourtant condamnées à disparaître. (…) C’est peut-être le seul dans cette catégorie de penseurs un peu crépusculaires qui a cette certitude. (Vincent Trémolet de Villers)
Chantal Mouffe - Pour un populisme de gauche
Deuxième temps de l’émission, je vous propose de nous intéresser maintenant au dernier essai de Chantal Mouffe Pour un populisme de gauche, publié par Albin Michel. La philosophe politique belge, proche du parti des Indignés espagnols, citée par Jean-Luc Mélenchon comme par Benoit Hamon, est une théoricienne de la radicalisation de la démocratie dont les idées ont percé ces dernières années.
Cela fait pourtant plusieurs décennies qu’elle creuse le sillon de la pensée critique, comme elle le rappelle dès le début de cet essai en citant Hégémonie et stratégie socialiste qu’elle publiait en 1985 avec Ernesto Laclau. Plus récemment, ses ouvrages L’illusion du Consensus en 2016 ou Construire un peuple : pour une radicalisation de la démocratie en 2017 ont été beaucoup discutés. Elle y défend une vision « agonistique » de la démocratie, c’est-à-dire fondée sur l’affrontement et non sur le consensus.
Cette fois-ci, elle propose un guide d’action politique, un livre d’intervention qui ne cache pas son caractère partisan – même si la théorie est toujours très présente. Dès le début, Chantal Mouffe prend ses distances avec ce qu’elle a écrit dans ses précédents ouvrages sur la nécessaire revitalisation du clivage droite-gauche… elle appelle désormais à tracer de nouvelles frontières politiques entre le peuple et l’oligarchie… c’est ce qu’elle appelle le « moment populiste ».
La contestation de l’hégémonie néolibérale promet pour les années à venir une affrontement entre un populisme de droite et de gauche… ce dernier étant naturellement selon elle du côté de l’approfondissement de la démocratie.
Elle dit que le mot de « populisme » a une tradition intellectuelle que l’on connaît mal et qui a eu parfois des effets vertueux. Elle évoque notamment le cas du parti populiste américain au XIXe siècle, le Parti du peuple (…). Pour elle, un populisme n’est pas du tout un régime de pensée, un régime politique, c’est une stratégie discursive, une stratégie d’opposition. Le populisme de gauche, pour elle, (…) est une stratégie qui vise à construire une frontière politique et théorique entre le peuple et l’oligarchie. (…) Et l’idée est de construire un peuple à partir de cette frontière, pour opposer à l’hégémonie néolibérale une contre-hégémonie populiste. (Jean-Marie Durand)
Ce qui me paraît intéressant, révélateur, et à mon avis peut-être défaillant dans sa démonstration, c’est ce qu’elle donne dans sa définition du peuple. (…) Je pense qu’elle évacue la question culturelle un peu vite. Or, la question culturelle est essentielle pour comprendre les populismes en Occident aujourd’hui. C’est la première clé, je pense avant l’austérité, de la « colère des peuples ». (…) C’est en ça, je pense, que son populisme de gauche ne pourra pas rencontrer l’assentiment des catégories populaires. (Vincent Trémolet de Villers)
- Le choix musical
Jean-Louis Murat, Ciné Vox (Album Ciné Vox - Label Pias)
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
L'instant critique
Il sera question de la revue Esprit d'octobre 2018 intitulée "L'hostilité djihadiste" et dans laquelle vous trouverez l'article du philosophe italien Raffaele Alberto Ventura « La philo politique du mouvement 5 étoiles ».
L'équipe
- Production
- Réalisation
- Collaboration