Une certaine idée du sacré

Coucher du soleil dans le Parc national de Los Nevados (Colombie). Il est situé dans la Cordillère Centrale, dans la région des Andes, la zone de  production de la majorité du café colombien.
Coucher du soleil dans le Parc national de Los Nevados (Colombie). Il est situé dans la Cordillère Centrale, dans la région des Andes, la zone de  production de la majorité du café colombien. ©AFP - Sergi Reboredo / alliance d'images / DPA
Coucher du soleil dans le Parc national de Los Nevados (Colombie). Il est situé dans la Cordillère Centrale, dans la région des Andes, la zone de production de la majorité du café colombien. ©AFP - Sergi Reboredo / alliance d'images / DPA
Coucher du soleil dans le Parc national de Los Nevados (Colombie). Il est situé dans la Cordillère Centrale, dans la région des Andes, la zone de production de la majorité du café colombien. ©AFP - Sergi Reboredo / alliance d'images / DPA
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Comme chaque semaine deux essais sous les feux de la critique : "Des marchés et des dieux. Comment l'économie devient religion" de Stéphane Foucart chez Grasset et "Sentir-penser avec la terre" d'Arturo Escobar aux éditions du Seuil.

Avec

Deux livres qui se penchent chacun à sa façon sur une certaine idée du sacré. Dans Sentir-penser avec la Terre, publié au Seuil, l’anthropologue colombien Arturo Escobar invite à mettre fin au dualisme entre nature et culture… des mouvements indigènes d’Amérique du Sud, aux zones à défendre, il montre comment les conflits politiques renvoient aujourd’hui à des visions divergentes du monde et de la façon d’en prendre soin. Une approche critique de l’occident qui occupe aussi le journaliste Stéphane Foucart, auteur de Des Marchés et des dieux : comment l’économie devient religion, publié chez Stock. Ou comment comprendre les marchés financiers à l’aune des haruspices de la Rome Antique.

Nous en débattrons avec Joseph Confavreux de Médiapart et Jean-Marie Durand des Inrockuptibles.

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Arturo Escobar -Sentir-Penser avec la terre : une écologie au-delà de l’Occident

Arturo Escobar est un anthropologue d’origine colombienne, professeur aux États-Unis, à l’Université de Caroline du Nord. Cet essai, publié au Seuil dans la collection Anthropocène est d’une certaine façon une synthèse de sa pensée, pour nous faire entrer dans ce qu’il appelle l’ontologie politique, concept sur lequel nous allons sans doute passer un peu de temps. Il fait partie de ces intellectuels qui ne font pas la distinction entre leur pensée et leur engagement, et même qui rejettent d’une certaine façon l’idée de neutralité axiologique. Cela se retrouve jusque dans la traduction de l’ouvrage, puisqu’elle est le fruit d’un travail collectif au sein de l’Atelier La Minga.

L’analyse d’Arturo Escobar, qui met à profit sa connaissance des luttes en Amérique latine, notamment celles des natifs ou des afro descendants, montre comment on trouve là une proposition politique radicalement différente. Face à l’échec de la mondialisation et au désastre écologique, il ne s’agit en effet pas de changer LE monde comme le propose la pensée critique occidentale, mais de changer DE monde. 

Difficile de présenter en quelques mots ce livre court mais dense sur une pensée très originale, qui bouscule vraiment les lecteurs mâles blancs occidentaux que nous sommes – pour citer Emmanuel Macron. Au début, il y l’idée portée en France par Philippe Descola par exemple de ne plus séparer nature et culture. 

Ce livre s’inscrit dans le très bon cru de la collection Anthropocène du Seuil, il pose énormément de questions et certains problèmes […] Le nœud que développe Arturo Escobar, c’est de savoir comment on peut, à partir de ces perspectives  d’effondrement de ces exploitations du vivant, des impasses dans lesquelles nous sommes de plus en plus enserrées, comment peut-on desserrer ce destin en faisant appel aux anthropologues du sud, aux cosmovisions qui changeraient la cosmovision unimondiste qui est celle de l’Occident. (Joseph Confavreux)

Il s’inscrit dans la tradition sud-américaine qui est un foyer de pensée contre-hégémonique […]Il y a aujourd’hui une critique de la pensée occidentale prise à rebours […] On peut penser un monde de manière plurielle avec le concept de plurivers (concept central du livre), repenser un monde désindexé de l’idée occidentale d’un monde de la compétition, de la domination, du capitalisme…Ce livre ouvre plein de pistes très stimulantes. (Jean-Marie Durand)

Stéphane Foucart - Des marchés et des dieux. Comment l'économie devient religion

Deuxième temps de l’émission je vous propose de nous pencher maintenant sur le dernier essai du journaliste Stéphane Foucart, chroniqueur au quotidien Le Monde où il couvre les questions de sciences et d’environnement. C’est aussi un essayiste qui a travaillé sur le Populisme Climatique (Denoël 2012) et sur La Fabrique du Mensonge (Denoël 2013), l’agnotologie pour les spécialistes, où comment les grandes entreprises du tabac ou de la chimie ont construit un savoir scientifique au service de leurs intérêts.

Stéphane Foucart passe, avec Des Marchés et des Dieux : comment l’économie devient religion, chez Stock, du côté de l’économie devenue selon lui religion. Mais toujours avec cette envie de comprendre pourquoi l’écologie, et plus généralement toutes les sciences qui fixent des limites au marché, semblent avoir si bien peu de poids. La question est d’autant plus fascinante que la prise de conscience des enjeux est évidente… comme le prouve ce que l’auteur appelle dans son Avant-Propos la « supplication des puissants », les discours des dirigeants présents à la Cop21.

Lui qui a couvert l’événement se refuse à croire simplement à du cynisme, mais alors si les Barack Obama et François Hollande étaient sincères, comment expliquer la modestie de leurs engagements ? Parce qu’ils n’ont plus l’autorité nécessaire… celle-ci appartient désormais à l’économie. Évidemment la charge n’est pas nouvelle, mais Stéphane Foucart propose de montrer comment cette nouvelle autorité est en réalité de nature religieuse… loin de la rationalité souvent affichée.

Selon Stéphane Foucart  le marché est devenu en effet l’objet d’un culte. Cette idée- là n’est pas très originale. Le livre de Stéphane Foucart  se situe dans une tradition assez convenue de la critique économique. En revanche son angle est intéressant : comment aujourd’hui l’économie capitaliste, le marché, fixe au pouvoir politique son cadre d’action absolu. (Jean-Marie Durand)

Stéphane Foucart  est une des plumes les plus intéressantes et les plus incisives du journal Le Monde surtout sur les questions climatiques, écologiques, scientifiques… Là, il se déplace dans son mode d’écriture puisque le livre se présente sous forme d’enquête d’un historien du futur qui regarderait avec des yeux étrangers notre monde actuel. (Joseph Confavreux)

L'instant critique

Jean-Marie Durand nous propose, dans le droit fil de l'émission, un livre sur Bruno Latour qui est un des philosophes contemporains les plus influents.  Ses études ethnographiques ont révolutionné notre compréhension des  sciences, du droit, de la politique et de la religion, il s'intitule "Bruno Latour : une introduction" un livre écrit par Gérard de Vries dans lequel il nous propose une synthèse du cheminement intellectuel et des travaux menés par le sociologue français depuis quarante ans. Joseph Confavreux nous invite à regarder un documentaire en replay sur Arte, il s'agit de " Les enfants du 209 rue Saint-Maur". Au terme d'une longue enquête, Ruth Zylberman a retrouvé les habitants  d'un immeuble parisien dont l'enfance avait été saccagée sous  l'Occupation.

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