Le travail constitue peut-être la colonne vertébrale de la réflexion qu'engage l'oeuvre de Simone Weil. Elle valorise le travail manuel et le pratique à l'usine, empirisme qui lui permet sans doute de situer ses lectures de Marx. Entre liberté et aliénation, quel rôle joue le travail pour elle ?
- Pascale Devette Professeure de théorie politique à l'Université de Montréal
A écouter les récits des femmes de ménage de l’hôtel Ibis des Batignolles ou des livreurs à vélo qui envahissent nos villes et nos vies, une même chose frappe : la référence constante à la cadence, imposée à ces travailleuses et travailleurs par les hommes ou les machines qui les dirigent – et qui rend le travail proprement insupportable et infaisable. Et on ne peut qu’être frappés par l’incroyable proximité entre ces divers témoignages et les nombreuses pages que Simone Weil consacre au travail, ouvrier notamment. Ainsi, dans La condition ouvrière, elle écrit : "Le rythme (…) correspond à la respiration, aux battements du cœur, aux mouvements naturels de l’organisme humain – et non à la cadence imposée par le chronométreur".
Il en a été question dans le premier épisode, Simone Weil fut elle-même ouvrière à l’usine et aux champs, mais également grande lectrice de Marx. Et le seul reproche qu’elle fit aux Grecs fut précisément de ne pas avoir accordé au travail manuel la place qu’il méritait. Chez elle au contraire, le travail, bien loin d’avilir l’homme, constitue le fondement nécessaire de son élévation spirituelle. C’est donc peu de dire que la question du travail est incontournable pour comprendre la vie et l’œuvre de la femme dont nous parlons cette semaine.
Mais nous nous trouvons ici au cœur d’une contradiction : les expériences à l’usine furent pour Simone Weil des moments d’annihilation de la pensée et de l’âme : "J’ai reçu là pour toujours la marque de l’esclavage" écrit-elle ainsi, mais dans le même temps elle dit y avoir gagné un "contact direct avec la vie".
Alors comment ces deux aspects s’articulent-ils dans les expériences vécues mais aussi dans la pensée même de Simone Weil ? Alors que le capitalisme numérique conduit au retour à une condition ouvrière digne justement des descriptions qu’en fit Marx, quel sens donner à l’idée que le travail physique doit être le "centre spirituel" d’une "vie sociale bien ordonnée" - comme le disent les dernières lignes de l’Enracinement ?
Pour répondre à toutes ces questions, Aïda N’Diaye accueille Pascale Devette.
Pascale Devette est professeure de théorie politique à l'Université de Montréal. Elle a fait sa thèse sur l'aspect tragique des pensées d’Albert Camus, de Simone Weil et d’Hannah Arendt. Elle a publié plusieurs articles sur Simone Weil et co-dirigé le numéro de revue Tumultes consacré à la philosophe : "Oppressions et liberté, Simone Weil et la résistance de la pensée" (2016).
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