À la recherche du royaume d’Urartu

Vue par drone de la forteresse d’Erebuni (ou Erebouni), dans les environs d'Erevan
Vue par drone de la forteresse d’Erebuni (ou Erebouni), dans les environs d'Erevan - © cliché Aird’eco-Drone, mission archéologique Erebuni
Vue par drone de la forteresse d’Erebuni (ou Erebouni), dans les environs d'Erevan - © cliché Aird’eco-Drone, mission archéologique Erebuni
Vue par drone de la forteresse d’Erebuni (ou Erebouni), dans les environs d'Erevan - © cliché Aird’eco-Drone, mission archéologique Erebuni
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Dans ce numéro, le magazine de l’archéologie ouvre ses portes à un royaume méconnu du sud Caucase, "Urartu" et par là même, au passé lointain de l’Arménie.

Avec
  • Stéphane Deschamps (conservateur) Conservateur général du patrimoine, chef du service régional d’archéologie d’Ile-de-France

Le royaume d’Urartu naît autour du lac de Van, aujourd’hui à l’est de la Turquie ; séparé de l’Assyrie par quelques royaumes tampons, il est pleinement mentionné dans les textes assyriens dès la fin du IIe millénaire avant notre ère, et fut notamment en guerre contre lui (cf. l’expédition guerrière de Salmanazar 1er). Mais ce n’est qu’au milieu du VIIIe siècle que le royaume d’Urartu semble réellement être à son apogée et rivalise avec son très puissant voisin assyrien.

Stéphane Deschamps "La première mention de l'Arménie dans les sources, c'est l'inscription de Behistoun en Iran. C'est l'inscription par laquelle le roi Darius relate la manière dont il a soumis les peuples révoltés suite à son accession au pouvoir. Donc c'est une inscription trilingue et dans deux versions, il mentionnait l'Arménie. Nous sommes vers 521-520 avant notre ère."

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Carte de localisation des principales forteresses de la plaine de l’Araxe
Carte de localisation des principales forteresses de la plaine de l’Araxe
- © cartographie : mission archéologique Erebuni

Stéphane Deschamps "Entre Urartu et Ararat, les consonnes sont communes entre les deux mots, c'est juste les voyelles qui changent, donc il y a un lien. Le mont Ararat est désigné de manière différente selon les populations. Pour les Arméniens, ce n'est pas Ararat, c'est le grand Masis et le petit Masis car il y a deux volcans qui culminent sur la plaine de l'Araxe. Et il est vrai que c'est un déchirement pour les Arméniens puisque, de la capitale Erevan, on voit le mont Ararat en permanence, mais il est situé en Turquie, aujourd'hui."

Pour les archéologues, la découverte d’Urartu est assez tardive puisque les monuments et mobiliers lui appartenant étaient généralement attribués à la culture assyrienne. Le royaume est toutefois identifié par Friedrich Schultz dans les années 1840, mais il faudra attendre l’ère soviétique pour que les recherches s’intensifient.

La forteresse d’Erebouni

Actuellement, une mission archéologique française du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères travaille sur un des sites majeurs de cette période. Dans les environs d’Erevan se dresse encore la forteresse d’Erebouni (ou Erebuni), créée en 782 avant notre ère par le roi Argishti Ier, qui régnera deux décennies - jusqu’en 766 avant notre ère. Puissant chef militaire, celui-ci relate ses exploits au travers d’un texte gravé dans la pierre d’un rocher de Van.

La forteresse se compose de son palais et de ses temples, l’un dédié à un dieu «  Haldi », deux autres au feu. Elle est édifiée sur des blocs de pierres, cyclopéens, surmontés de briques d’adobe. Durant le premier quart du VIIe siècle, le pouvoir semble transféré d’Erebouni vers un nouveau site fortifié. Au cœur de cette région sismique, le site subit au moins trois tremblements de terre. Le plus violent se déroule entre 670-650 avant notre ère et le temple d’Haldi est définitivement détruit. Ces « colères divines » sont probablement une des causes du déclin de la forteresse. Ainsi, les archéologues perçoivent sur le terrain, une brusque modification des modes d’occupation du site, l’apparition d’un phénomène d’occupation précaire, des "squatters" en quelque sorte.

Stéphane Deschamps "C'est une forteresse (Erebouni) importante avec plusieurs fonctions. On parle de la fonction militaire pour toute forteresse, bien évidemment, et ici aussi, une fonction religieuse. Elle abrite un complexe cultuel que l'on est en train de retravailler. Il y a trois temples majeurs du complexe cultuel, et d'importants greniers aussi. liés, à la vocation économique. Palais, forteresse et greniers : c'était des places fortes dans lesquelles on stockait des céréales pour ensuite les renvoyer vers le centre du royaume."

Détail de l’inscription cunéiforme du temple de Haldi par le roi Argishti Ier (782 BC).
Détail de l’inscription cunéiforme du temple de Haldi par le roi Argishti Ier (782 BC).
- © S. Deschamps / mission archéologique Erebuni
Erebuni. Vue verticale du temple dédié au dieu Iubsa par le roi Argishti (ca. 782 BC). Le parvis du temple est en cours d’étude
Erebuni. Vue verticale du temple dédié au dieu Iubsa par le roi Argishti (ca. 782 BC). Le parvis du temple est en cours d’étude
- © cliché A. Lureau, mission archéologique Erebuni

Stéphane Deschamps "Travailler en Arménie sur Urartu a été une opportunité, pas un choix. Je n'étais pas du tout prédestiné à travailler ni sur le Proche-Orient, ni sur ces périodes, qui sont un peu loin de mes bases, puisque je travaillais sur l'Antiquité, et notamment sur l'Antiquité urbaine. C'était une mission, à l'origine, organisée par le ministère de la Culture français à la demande du ministre de la Culture arménien, pour les aider dans un programme d'étude et de restauration, notamment des édifices paléochrétiens. [...] Donc, c'est un peu un hasard !"

Détail de la fouille de la porte primitive d’accès à la forteresse d’Erebuni, avec un système de récupération des eaux
Détail de la fouille de la porte primitive d’accès à la forteresse d’Erebuni, avec un système de récupération des eaux
- © S. Deschamps / mission archéologique Erebuni

Stéphane Deschamps "(La forteresse), est une réserve archéologique actuellement, qui a été restaurée en 1968, pour le meilleur et pour le pire ! En fait, la forteresse est sur une colline qui domine complètement la plaine de l'Araxe. Donc, la perspective que l'on a, de la forteresse, c'est la plaine en contrebas et le mot Ararat en face. C'est un paysage assez agréable le matin quand on arrive sur la fouille. Le reste, aux alentours, ce sont des collines relativement arides, de hauts plateaux volcaniques. On est juste à la rupture entre ce réseau de collines et la grande plaine fertile de l'Araxe."

La fin d’Urartu et l’empire Achéménide

Vers 557-530, l’Arménie est intégrée à l’empire perse achéménide créé par Cyrus, l’Arménie devient alors la 18e satrapie de l’empire. L’organisation perse implante en Arménie de nouvelles créations ex-nihilo de grands sites. À Erebouni, une grande salle à 30 colonnes (de type  apadana, c’est-à-dire un bâtiment d'audience hypostyle), datée du début du VIe siècle avant notre ère, pourrait-elle appartenir à cette période achéménide, ou tout au contraire, serait-elle antérieure ?

Elévation des murs de la grande salle à colonnes (fin VIIème BC) avec une élévation de briques d’adobe reposant sur une simple fondation de blocs
Elévation des murs de la grande salle à colonnes (fin VIIème BC) avec une élévation de briques d’adobe reposant sur une simple fondation de blocs
- © S. Deschamps / mission archéologique Erebuni

Pour aller plus loin

Erebuni. Céramique engobée rouge caractéristique de la période urartéenne
Erebuni. Céramique engobée rouge caractéristique de la période urartéenne
- © F. fichet de Clairfontaine / mission archéologique Erebuni
Relevé lidar (drone) de la réserve archéologique d’Erebuni. A gauche, la partie sud de la forteresse avec les habitats sur les collines au sud de la forteresse
Relevé lidar (drone) de la réserve archéologique d’Erebuni. A gauche, la partie sud de la forteresse avec les habitats sur les collines au sud de la forteresse
- © lidar Aird’eco-Drone / mission archéologique Erebuni