

La découverte est hors norme et sans précédent, celle d’un extraordinaire dépôt de l’âge du Fer, découvert en pleine mer Méditerranée. Vincent Charpentier en parle avec Jean Guilaine et Dominique Garcia.
- Jean Guilaine Archéologue spécialiste de la Préhistoire et de la Protohistoire, professeur émérite au Collège de France et membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres.
- Dominique Garcia Archéologue et historien, Président de l'Inrap (Institut de recherches archéologiques préventives), professeur à l’université d’Aix-Marseille.
En 1964, André Bouscaras, pionnier de l’archéologie sous-marine, met au jour une gigantesque concentration d’objets de bronze, sous les eaux de la Méditerranée, au large du Cap d’Agde (Hérault). Près de soixante ans après, son étude exhaustive vient, enfin, de voir le jour et révèle une étonnante histoire vieille de plus de 2 500 ans.
Nous voici devant un extraordinaire amoncellement de lingots de cuivre et d’objets de bronze neufs, usagés ou brisés, daté des environs de 560 avant notre ère, composé de bracelets, de grandes fibules, d’agrafes de ceinture, d’armes, notamment des haches de divers types mais aussi des lances…
Dominique Garcia ***"***Le site des lingots et des objets de bronze de Rochelongue a été découvert le 21 juillet 1964 par André Bouscaras qui est né en 1922 et aurait eu 100 ans cette année. La découverte fut déclarée aussitôt au département des recherches d'archéologies subaquatiques et sous-marines, le Drassm. [...] À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il découvre l'archéologie sous-marine toute naissante et réunit autour de lui et de son épouse, un cercle amical, un groupe de plongeurs qui va œuvrer dans toute cette région. Dès 1948, il obtient les premières autorisations officielles de fouilles subaquatiques délivrées par le ministère dans le golfe du Lion."


Dominique Garcia "On connaît approximativement la localisation du site. Il est environ à 500 mètres de la côte, à quatre kilomètres du Cap d'Agde, dans une zone située entre trois mètres et dix mètres de profondeur. [...] La localisation précise n'a jamais été mentionnée, de peur sans doute que des concurrents, dans cette archéologie naissante viennent récupérer et étudier le site avant André Bouscaras. [...] À la fin des années 60, ce secteur de la côte languedocienne est fortement aménagé et donc une partie des déblais qui ont servi à creuser le port du Cap d'Agde notamment, sont rejetés dans le secteur, et, donc, aujourd'hui, il est très difficile de retrouver l'emplacement exact du site."
Deux hypothèses pour reconstituer l’histoire
Quelle est donc l’histoire de cet amas d’objets hétéroclites ? Deux hypothèses peuvent être mises en place pour expliquer la présence de tous ces objets en pleine mer ; la première serait, bien entendu, une « fortune de mer », le naufrage d’un navire dont, hormis sa cargaison métallique, aucune trace ne nous est parvenue. Un sanctuaire marin pourrait être aussi envisagé, comme il en existe en Sicile et en Grèce. L’accumulation d’objets aurait alors été produite au cours du temps.

L’étude de cet assemblage de bronze révèle bien des surprises, puisque les lingots proviennent des mines d’Andalousie et les grandes fibules ont été produites en Catalogne. Nombre de mobiliers viennent aussi des profondeurs de la Gaule continentale, du Jura à l’Atlantique, laissant supposer que les élites gauloises, locales, ont drainé tous ces objets via des colporteurs.
Au débouché lagunaire de la vallée de l’Hérault, Agde est alors au cœur des circuits d’échanges reliant les domaines maritimes de Grande-Grèce, d’Étrurie, d’Ibérie punique aux aires terrestres gauloises. L’hypothèse d’une cargaison issue d’un navire en partance pour les eaux italiennes, et détruit lors d’une tempête, est donc aujourd’hui très crédible.
Jean Guilaine "Ces populations locales du Bas Languedoc, notamment les personnages les plus importants, ont suffisamment de pouvoir pour drainer à travers toute la Gaule des masses énormes de bronze qui finiront ensuite dans les fonderies ou dans les sanctuaires de la Méditerranée."
Jean Guilaine "Vous voyez, dans ce dépôt, quelque chose qui est très hétéroclite. D'une part, des lingots d'origine sud ibérique, ensuite, des objets qui s'égrainent sur la côte espagnole de Valencia et pratiquement jusqu'aux Pyrénées et au-delà, et enfin, des objets proprement gaulois. Voilà la composition très complexe et ce qui évidemment en fait l'intérêt même du dépôt de Rochelongue."

Dominique Garcia ***"***Ce qu'a révélé la fouille, c'est un espace qui fait environ 25 mètres de long sur 14 mètres de large, donc une embarcation, si c'est le cas, qui devait être assez importante, dans laquelle étaient placés ces objets, regroupés par catégories au moment de la fouille, comme si on avait déposé là des emballages. D'où le fait que l'hypothèse de l'épave, donc du bateau qui partait des côtes languedociennes pour aller alimenter l'industrie méditerranéenne, semble être la plus favorable."
Pour aller plus loin
- > Pages de Jean Guilaine : Collège de France , Académie des inscriptions et belles-lettres , Wikipédia.
- À lire, Article "portrait" sur Jean Guilaine, Jean Guilaine, apôtre du Néolithique, juin 2019 (site du magazine l'Histoire).
- Page de la fondation Christiane et Jean Guilaine.
- Publications de Jean Guilaine : sur le site Babelio, et sur le site Cairn.info.
- Présentation de l'ouvrage Rochelongue (Agde, Hérault), lingots et bronzes protohistoriques par centaines dans la mer, paru le 26 octobre 2022, sur le site des éditions des Presses universitaires de la Méditerranée ( Pulm).
- > Pages de Dominique Garcia : Wikipedia, sa page twitter, son CV et ses publications (site inrap.academia).
- Page sur la fouille de Rochelongue sur le site du musée de l'Éphèbe à Agde (musée de l'Éphèbe et d'archéologie sous-marine d'Agde).
- Document rédigé par André Bouscaras et Camille Hugues, découvreur du site de Rochelongue, sur la cargaison des bronzes de Rochelongues.
- Page sur Odette Taffanel, archéologue à Mailhac dans l'Aude (site du ministère de la Culture), et page de la Mairie de Mailhac évoquant Odette et Jean Taffanel, archéologues autodidactes ! (cités dans l'émission).
- Page sur Stéphane Verger (cité dans l'émission).
- Page sur le Drassm, département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (cité dans l'émission).
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