Le Néolithique constitue un moment charnière de notre histoire : l’émergence de l’économie de production au détriment de celle de prédation.
- Jean-Paul Demoule Archéologue et préhistorien français. Professeur émérite de protohistoire européenne à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, membre honoraire de l'Institut universitaire de France et ancien président de l'Inrap
Phénomène irrémédiable, le Néolithique conquiert, peu à peu - et sous diverses formes - le monde, intégrant, en son sein, la majorité des communautés de chasseurs-collecteurs.
Nous tous, Européens, parmi nos gènes, nous avons une forte composante de gènes des agriculteurs venus du Proche-Orient, mais aussi de ces chasseurs-cueilleurs mésolithiques, composante qui augmente d'ailleurs, au bout d'un certain temps, parce que, justement, il va y avoir assimilation.
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Loin de l’image simpliste qu’incarnent la hache polie et la naissance de la poterie, le Néolithique constitue un extraordinaire temps d’expérimentations, d’innovations, le moment de tous les possibles !
Si on regarde à 5 000 ans près, ça marche : on passe de sociétés purement de chasseurs-cueilleurs, à quelques exceptions près comme la domestication du chien, à des sociétés agricoles qui vont prendre le pas sur toutes les autres. Mais après, si on regarde dans le détail, l'idée de révolution néolithique a été créée par l'archéologue australien Vere Gordon Childe dans l'entre deux guerres. Il ne faut pas imaginer quelque chose de soudain, mais, au contraire, penser que cela s'est fait sur des siècles, sinon des millénaires, et qu'il y a certainement eu des échecs, des retours en arrière, etc...
Ainsi, pour certains anthropologues, le stockage des denrées est un des moteurs majeurs de l’apparition de cette nouvelle économie. Parallèlement, forte de la sédentarisation, de l’agriculture et de l’élevage, cette période élabore probablement un nouveau rapport à la nature. Dans sa maîtrise et la domination de l’Homme sur cette nature, d’autres y perçoivent la naissance des divinités, des religions préhistoriques.
Les premiers déboisements vont marquer une rupture. On passe d'un ou deux millions d'humains à la fin du Paléolithique, juste avant l'invention de l'agriculture. Puis, ça va monter de manière exponentielle. [...] En tout cas, il est indéniable que quelque chose d'irréversible se passe à ce moment-là.
Dans « Âge de pierre, âge d’abondance » (1976), Marshall Sahlins a montré que l'économie primitive des chasseurs-cueilleurs n’était pas une économie de misère, tandis que Pierre Clastres, en 1974, écrivait « Si l'homme primitif ne rentabilise pas son activité, c'est non pas parce qu'il ne sait pas le faire, mais parce qu'il n'en a pas envie ». Avec le Néolithique, tout change et des chercheurs y voient « le travailler plus… pour gagner plus », et par là même, l’apparition de la thésaurisation, des inégalités, qui déboucheront sur la naissance des élites, enfin, les « sociétés complexes ».
On ne peut pas retourner au mode de vie paléolithique, mais, en revanche, on a de larges choix ouverts devant nous : on peut continuer à aller à la catastrophe écologique, la Terre continuera à tourner, de toute façon, et je pense aussi que Sapiens est éminemment adaptable. Néanmoins, ça peut se faire dans des crises violentes avec des millions de morts.
Les néolithiques seraient-ils pour autant les premiers pollueurs ? Certains vont à penser que le Néolithique pourrait signer les prémices de l’Anthropocène, ce temps géologique caractérisé par l'influence majeure de l’activité humaine sur l'écosystème terrestre. Peut-on aujourd’hui et pour autant, dans ces temps de crises climatique, environnementale et épidémique, trouver dans la société néolithique, les fondements de nos responsabilités ?
Avec Jean-Paul Demoule, archéologue et préhistorien. Professeur émérite de protohistoire européenne à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, membre honoraire de l'Institut universitaire de France.
Pour aller plus loin
Sur Jean-Paul Demoule
- Son blog irrite et ses pages twitter (@JPDemoule) sont très suivies, au point d'en avoir même une contrefaçon "Sean Paul Demoule" !
- Son s ite per sonn el et sa page wikipédia
Sur les Journées Européennes de l'Archéologie, en partenariat avec France Culture
Organisées par l’Inrap, sous l’égide du ministère de la Culture, les Journées européennes de l'archéologie mobilisent l’ensemble des acteurs de l’archéologie pour fêter la discipline dans toute l’Europe. Cette année, elles se tiendront les 18, 19 et 20 juin 2021.
Le Musée d'Archéologie Nationale de Saint-Germain-en-Laye propose un programme spécial pour les Journées Européennes de l'Archéologie.
Et aussi...
À découvrir également, la Saison néolithique de l'Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives) sur le site de l'Inrap.
A visiter "en vrai" ou en virtuel, le M usée départemental de préhistoire d’Ile-de-France, qui propose pendant les Journées Européennes de l'Archéologie de découvrir la nouvelle exposition du musée : " Mémoire de glace". (Visites guidées sur place ou bien à distance depuis votre smartphone ou votre ordinateur. Gratuit pour tous).
À lire, un article d'Audrey Dufour, Le néolithique, à la racine de nos sociétés contemporaines, paru dans La Croix le 7 juin 2021.
Et encore, l'exposition La Terre en héritage, du Néolithique à nous, au Musée des Confluences à Lyon jusqu'au 30 janvier 2022, en coproduction avec l'Inrap.
Personnes évoquées pendant l'émission
- Alain Testard (1945-2013), anthropologue : sa page wikipédia et son site personnel, créé et géré par une association qui entretient sa mémoire.
- Jacques Cauvin (1930-2001), archéologue spécialisé dans la préhistoire du Levant et du Proche-Orient : sa page wikipédia.
- Vere Gordon Childe (1892-1957), archéologue australien. Il est notamment connu pour avoir popularisé les expressions « Révolution néolithique » et « Révolution urbaine » : sa page wikipédia.
- William Ruddiman (1943 -), paléoclimatologue américain, professeur émérite de l’université de Virginie. Il est connu principalement pour sa théorie, dite hypothèse Ruddiman, sur l’ancienneté du réchauffement climatique d’origine humaine : sa page wikipédia.
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