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Lourdeur
Lourdeur ©Getty -  filo
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Stop aux "frimousses" clin d'Ɠil.

On les appelle des Ă©moticĂŽnes, des smileys ou des Ă©mojis. L’AcadĂ©mie française recommande pourtant, depuis 1999, le terme de “frimousse” ou de “binette”.
On en met dans nos messages pour les ponctuer, y exprimer nos sentiments indicibles ou appuyer nos propos. Ils sont parfois mystĂ©rieux (qu’a voulu dire ma mĂšre avec son aubergine) ? 

Alors que je m’en tiens souvent aux mĂȘmes (sourire, tristesse, fou rire), je suis toujours Ă©tonnĂ©e et mĂȘme admirative de l’inventivitĂ© de certains de mes interlocuteurs, qui vont chercher loin, trĂšs loin, la binette idoine. AprĂšs le tag parfait, le smiley parfait
 

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Il en est un, pourtant, qui est couramment utilisĂ© et dont je ne m’explique pas l’usage : l’émoticĂŽne clin d'Ɠil.  
Le problĂšme ne rĂ©side pas dans l’emploi des smileys dans lesquels certains voient la dĂ©liquescence de la langue, et tant qu’on y est de la pensĂ©e
 mais prĂ©cisĂ©ment, dans ce recours, selon moi, beaucoup trop frĂ©quent au clin d'Ɠil virtuel. 

Car, posons-nous cette question non cruciale : qui fait vraiment des clins d'Ɠil dans la vie ?

Risques du clin d'Ɠil

Franchement, j’ai peu de souvenirs de personnes en faisant. Sauf, justement, dans des messages. D’oĂč ma question : que veulent me signifier mes interlocuteurs qui l’utilisent ? Quel sens trouver Ă  ce visage jaune avec son Ɠil gauche qui cligne, dont l’utilisation serait, selon sa dĂ©finition, soi-disant bienveillante ? 

Il faut le dire, quand on reçoit un tel Ă©moji, il nous reste toujours une drĂŽle d’impression, celle qu’une sorte d’ironie est en train de se jouer (autrement dit : qu’on est en train de se moquer de moi)...
A cet Ă©gard, l’usage du clin d'Ɠil est toujours risquĂ©, car c’est toujours prendre le risque de froisser le destinataire de son message, et du mĂȘme coup, de rĂ©vĂ©ler que l’ironie inhĂ©rente de son message n’est peut-ĂȘtre pas si finaude que ça

Bien Ă©videmment, ne parlons mĂȘme pas, en termes de lourdeur, du clin d'Ɠil pour flirter... 

Il reste malgrĂ© tout une possibilitĂ© qui semble pourtant Ă©vidente : celle de l’expression de la complicitĂ©. Car de quoi un clin d'Ɠil peut-il bien ĂȘtre le signe si ce n’est d’une complicitĂ©, d’une connivence, d’un accord tacite ? 

Tout le paradoxe étant précisément que si on est complice, pourquoi y a-t-il besoin de le signifier, non pas seulement avec des mots, mais avec un pictogramme en plus ? 

Parce que c'était toi, parce que c'était moi

Quand on Ă©crit Ă  un ami, on ne lui signifie pas notre complicitĂ©, mais notre amitiĂ© justement, on lui envoie des cƓurs, mais pas des smileys clin d’Ɠil pour se dire qu’on est complice, qu’on se comprend, puisque prĂ©cisĂ©ment on s’écrit parce qu’on se comprend et on se comprend parce qu’on s’écrit. 

Imaginez Montaigne Ă©crivant ceci Ă  son ami de toujours La BoĂ©tie : « Parce que c'Ă©tait toi, parce que c'Ă©tait moi. » SMILEY CLIN D’OEIL. Non, ça ne marche pas du tout. Car justement, le texte de Montaigne dit cela Ă  propos de l’amitié : 

“dans l’amitiĂ©, nos Ăąmes se mĂȘlent et se confondent l'une en l'autre, d'un mĂ©lange si universel qu'elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes.” 

Or, chaque clin d'Ɠil virtuel n’est qu’un rappel insistant de cette couture censĂ©e nous joindre Ă  l’autre et qui ne s’oublie pas... Le mĂ©lange n’est jamais obtenu, les Ăąmes ne se mĂȘlent pas, elles ne se confondent pas, elles tentent, laborieusement, artificiellement, d’ĂȘtre rĂ©unies. 

Voici donc le problĂšme : non pas, comme je le disais dans l’usage de pictogrammes, mais dans cette tentative, un peu obscĂšne, de mimer l’amitiĂ© quand il n’y a lĂ , pour reprendre les mots de Montaigne, “qu’accoitances et familiaritĂ©s”.Â