A nos petites transgressions

La déglingue
La déglingue ©Getty -  Adam Gault
La déglingue ©Getty - Adam Gault
La déglingue ©Getty - Adam Gault
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Et s'il était plus transgressif de se coucher tard que de tromper son partenaire ?

En partenariat avec le Hors-Série Lire - Magazine Littéraire : pourquoi la transgression fait-elle avancer le monde ? 

Aujourd'hui, sort un Hors-Série Lire - Magazine littéraire, avec cette question en couverture : “Pourquoi la transgression fait-elle avancer le monde ?”. Comme je ne suis pas née de la dernière pluie, j’ai tout de suite compris qu’il y avait un sous-entendu, à savoir que la transgression faisait donc bien avancer le monde et qu’il restait à savoir comment, et c’est bien le projet de ce Hors-série. 

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Assez banalement, quand on pense à la transgression, soit le fait de franchir une limite, on pense tout de suite à des choses comme : prendre de la drogue, se saouler, s’enfuir de prison dans une malle, ou, plus actuel, porter le masque sous le nez, voire, si on vise la déglingue, ne pas en porter du tout. 

Paradoxalement, on a tous en tête exactement les mêmes images de la transgression, sexe, drogue et gestes anti-barrières. Et paradoxalement, la transgression est devenue profondément banale et conformiste.
Elle est non seulement permise mais elle semble même nécessaire, comme semble le suggérer ce Hors-Série, pour faire avancer le monde. Au point qu’on en viendrait même à se demander si la transgression a encore quelque chose de transgressif… 

La transgression sans danger

Si je pense aux clichés de la transgression, je dois reconnaître que ma vie est d’une platitude assez frappante : pas que ce soit volontaire, j’aimerais avoir le goût du risque, mais en fait, la perspective du danger me fatigue d’avance, pire : l’idée de devoir me justifier auprès d’autres que moi ou de ma conscience, pour avoir franchi des limites, m’épuise. 

Pour autant, la transgression m’est-elle complètement étrangère ? Non plus. Mais elle est, je dois dire, beaucoup plus subtile.. Comme j'imagine chez la plupart des individus. Ce sont toutes ces petites règles que l'on se fixe à soi et auxquelles on déroge. Ne pas se coucher au-delà de telle heure, faire du yoga tous les 2 jours, éteindre les lumières dans un certain ordre… 

Transgresser ces règles ne sera jamais illégal ni culpabilisant, et ne fera, j’en suis sûre, jamais avancer le monde. Pourtant, la transgression n’en est pas moins là, à planer, à menacer, une lumière éteinte avant une autre, un épisode de série en trop, et c’est tout notre monde qui risque de s’écrouler…. 

La transgression sans clichés

Pour ma part, une des règles que je me suis fixée depuis longtemps, c'est de remuer les doigts de pieds, avant de dormir, pour vérifier qu’ils fonctionnent bien. C’est vrai que c’est ridicule, et qu’enfreindre une telle règle semble dérisoire, mais je me demande si ces micro-transgression indignes d’intérêt pour la loi, la vie courante ou l’art, n’ont pas, en fait, beaucoup plus d’effet qu’une ligne de cocaïne ou qu’un très fade adultère…  

Dans ses Dits et écrits, Michel Foucault nous dit ceci : 

“Rien n’est négatif dans la transgression. (...) Mais cette affirmation n’a rien de positif : nul contenu ne peut la lier, puisque par définition, nulle limite ne peut la retenir.” 

Et c’est tout le problème de l’idée habituelle qu’on se fait de la transgression : choquante, spectaculaire, idéalisée, on la soumet à des limites, de représentation, d’esthétique, à des codes et des clichés. 

Mais ces petites transgressions, qu'on a tous, elles, sont peut-être banales mais elles ne seront jamais banalisées, jamais caricaturées ni codifiées ni limitées. Et si, ainsi, en oubliant d’éteindre une lumière, j’étais plus transgressive qu’un hors-la-loi, et ma vie plus risquée que ce que je pensais ?