C'est délicieux. Mais pas forcément.
J’avais prévu d’écrire une chronique sur le vaccin, mais non. Parce qu’hier, il m’est arrivé une chose, alors je le dis tout de suite : une chose pas du tout extraordinaire (mais en même temps, c’est pas comme s’il m’arrivait des choses extraordinaires d’habitude non plus) mais une chose qui a au moins eu le mérite de me réjouir. J’ai mangé un beignet.
J’entends déjà ceux qui doivent se dire “et alors” ET ceux qui attendent ou appréhendent l’éloge de ces petites choses de la vie. A ceux-là, je réponds respectivement oui et non. Car je suis loin de penser que le beignet soit une petite chose de la vie, mais au contraire quelque chose de potentiellement périlleux.
Du choix d’acheter un beignet jusqu’à sa dégustation, jusqu’au gras et l’odeur qui nous colle aux doigts encore quelques minutes après, se révèle ce qu’on peut appeler une expérience.
Oui, rien, dans un beignet, n’est anodin. Et il s’y joue plutôt quelque chose de la mise à l’épreuve, sensorielle, digestive, et donc morale, avec tout son lot d'incertitudes.
Un pari
Je suis entrée dans cette boulangerie, à côté de la Maison de la radio. Et là, juste avant de payer mon sandwich, je vois ces beignets. Cinq beaux beignets, trois saveurs possibles : nature, framboise, chocolat.
Et déjà, une question : est-ce que je me lance là-dedans ? Est-ce que ça ne va pas être trop lourd, trop gras, trop sucré ? Autrement dit, est-ce que ça ne va être trop, de trop ?
Vous voyez, le beignet ne s’impose jamais comme une nécessité, c’est toujours quelque chose en plus, on tombe dessus, et le choix d’en prendre un est toujours arbitraire : l’idée du plaisir qu’on va peut-être en retirer en est l’unique critère, ce qui n’est pas le cas d’un yaourt qui pour sa part présente en plus des qualités nutritives, et je ne parle même pas d’un fruit.
De là, cette dimension : celle du pari. On parie que manger un beignet va nous procurer une certaine satisfaction, mais le contraire peut être tout autant valable.
Car rien n’indique qu’après avoir mangé un beignet, il n’y aura pas cette terrible descente, entre sensation de lourdeur et sentiment d’être sale.
Et c’est bien le paradoxe du beignet : si, quand on en mange un, on sait que notre désir de sucre et de gras va être complètement satisfait, rien n’indique pourtant qu’il sera pleinement satisfaisant.
Nietzsche aimait-il les beignets ?
Malgré tout, je me suis lancée. J'ai opté pour la framboise, en misant sur l’acidité du fruit rouge. Pour “pepser” le gras, comme on dit dans Topchef. Et je ne me suis pas trompée : chaque bouchée a été un délice.
Ce qui m’a particulièrement étonnée, mais aussi plu alors que ce n’est pas forcément plaisant : c’est le fait que cette pâte, frite dans de l’huile, soit à la fois aérienne et très compacte.
Vous voyez quand j'appuyais dessus, elle s’agglutinait, elle devenait presque caoutchouteuse, comme du chewing-gum, mais pourtant, en bouche, elle ne se mâchait pas, aucune résistance. Je dirais même qu’elle disparaissait au contact de ma langue.
En fait, cette pâte indéniablement plombante, a pu se révéler incroyablement vaporeuse… mais, et c’est bien le problème du beignet, pas nécessairement.
Car la coïncidence entre la recherche du beignet et le beignet lui-même, a beau avoir lieu, l’expérience a beau se produire, l’issue et le plaisir tiré resteront incertains.
Serais-je vraiment bien une fois le beignet avalé ? Le gras sera-t-il à la hauteur ? Le sucré comme il faut ? Oui, je serai comblée, mais serais-je heureuse ? Rien de sûr.
Alors oui Nietzsche disait :
“ce n’est pas l’incertitude qui rend fou, c’est la certitude”.
Mais j’ose dire qu’avec un beignet, c’est pire, car même après en avoir mangé plusieurs dans sa vie, savoir ce que ça fait n’assure pas qu’on en fasse éternellement la même expérience.
Nota Bene : ça marche aussi avec un Macdo.
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