Cancel culture : t'annules ou t'annules pas ?

Boycott
Boycott ©Getty -  Sohel Parvez Haque / EyeEm
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La cancel culture est au cœur de tous les débats : faut-il ou pas "annuler", c'est-à-dire boycotter des personnes ou des œuvres ? Mais quel est le choix en jeu dans le fait d'annuler ?

C’est un des mots de l’année avec “covid” et “ensauvagement” : celui de “cancel culture” soit la culture de l’annulation, du boycott, de l’effacement, qui consiste à bannir de l’espace public une personnalité pour ses actes ou ses paroles. Parmi les exemples les plus connus, Woody Allen, accusé d’abus sexuels, et dont les films ne sont plus distribués aux Etats-Unis, le comique américain Louis CK dont les spectacles n’ont plus lieu, ou encore, en France, Gabriel Matzneff dont je ne sais ce qu’il est devenu… 

Pratique sociale qui vise, selon ses partisans, à rendre justice aux victimes invisibilisées, ou, selon ses adversaires, culture menaçante pour la liberté d’expression et la liberté tout court, j’avoue moi-même être face à un dilemme : entre jouissance à voir les méchants épinglés et humiliés et peur, que ça aille trop loin et qu’il ne reste de ces affrontements que des têtes coupées… 

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Pour ou contre

Parmi les nombreux textes sur le sujet, j’ai ainsi pu lire qu’on pouvait lui reprocher de se substituer à la justice, ou au contraire, la louer de pallier ses manques ; qu’on pouvait critiquer sa moralisation, ou au contraire, valoriser sa quête d’égalité et de vérité ; qu’on pouvait, enfin, s’inquiéter de cette chasse aux sorcières, ou au contraire, s’enthousiasmer de faire tomber, pour l’exemple, des privilégiés ; et encore, qu’on pouvait condamner sa censure, ou au contraire, s’emballer pour cette mise à mal du système patriarcal. 

D’un texte à l’autre, je me suis vue balancer d’une position à l’autre. Et comme la cancel culture consiste à proprement parler en une annulation, c’est-à-dire à rendre nulle et inefficace une personne ou une oeuvre, je me suis vue réfléchir de la même manière : annuler ou pas la cancel culture. Etre pour ou contre. M’enthousiasmer ou m’inquiéter. Soit le degré zéro de la pensée. Serait-il possible de penser autrement la cancel culture ? Peut-on être dans la nuance avec elle, dans la complexité, ou doit-on forcément choisir son camp, faire face à un dilemme et le trancher ? 

La forme du dilemme

Je crois que le problème de la cancel culture est justement là : elle pose tous les problèmes, du patriarcat, des inégalités ou de la sexualité, en termes de dilemme. Et seulement en termes de dilemme, soit sous la forme de deux propositions opposées et irréconciliables (annuler ou pas). Et ce faisant, parce qu’elle n’est que dilemmes, elle pose le problème du dilemme en lui-même. 

Je sais bien qu’en philosophie, la question des dilemmes, moraux notamment, sont un énorme dossier (le plus célèbre étant celui du tramway où vous devez choisir entre dévier un tramway pour sauver 4 personnes, mais du coup, en écraser une, ou laisser mourir les 4 pour ne pas sacrifier le passant). Mais l’intéressant du dilemme en philosophie, c’est qu’il est avant tout une expérience de pensée, seulement de pensée, qui vise à comprendre les mécanismes en jeu dans le fait de choisir. 

Réflexion et décision

Mais, et c’est toute ma question : si le dilemme permet, certes, de réfléchir à la question du choix, permet-il paradoxalement de choisir en vrai ? Et la cancel culture, avec son dilemme unique d’annuler ou pas, de fonctionnement binaire, ouvre sur des débats cruciaux, mais permet-elle, en vrai, au choix de se déployer, permet-elle de choisir en bonne et due forme avec des nuances, un cheminement et des arguments ? 

Contre toute attente, la cancel culture est loin d'être le degré zéro de la réflexion, mais en tout cas d'une décision.