

Ou plutôt comment en est-on venu à voir des fake news partout.
Il y a quelques temps, j’ai reçu, suite à une chronique, le message d’un auditeur me faisant part de son mécontentement. Ça arrive. Mais ce qui m’a frappé, c’est que le principal message du message consistait en deux mots écrits en lettres majuscules : FAKE NEWS.
Ca m’a frappé, parce qu’il ne s’agissait pas de Donald Trump et que je m’attendais plutôt à une accusation du type : contre-sens, malhonnêteté intellectuelle, ou “c’est nul”, ça oui, d’accord.
Et puis j’imaginais que, par définition, l’accusation de fake news devait porter sur une “news”, une information quoi, quelque chose de l’actualité… ce qui n’était pas le cas de mon propos.
Ce qui m’a donc frappé, c’est cette extension du label, ou plutôt de l’anti-label “fake news” pour tout et n’importe quoi. Ne dites plus “je ne suis pas d’accord”, ne dites pas non plus “tu dis n’importe quoi”, ne dites même plus “c’est nul”...
Pour disqualifier, en un seul coup, le propos d’une personne qui n’est même pas votre adversaire, armez-vous désormais d’un simple “fake news”.
On est tous devenu des Debord
S’il y a bien une condamnation générale, c’est celle du faux : contrefaçons, plagiat, mensonges, duperie, contre-vérités, personne n’a envie d’être trompé et personne ne peut assumer d’être trompeur. Les philosophes eux-mêmes en ont fait un de leurs pires ennemis, de Platon et ses simulacres jusqu’à Guy Debord et la société du spectacle.
“Le spectacle, qui est l’effacement des limites du moi et du monde, est également l’effacement des limites du vrai et du faux par le refoulement de toute vérité, vécue sous la présence réelle de la fausseté”.
C’est bien au nom de la vérité que Debord critique cette société du spectacle dans laquelle domine la fausseté et dans laquelle il dit aussi, je cite, que “le vrai n’est qu’un moment du faux”.
A croire qu’en balançant à tout va cette accusation de “fake news”, on se croit tous devenus debordiens, lucides, clairvoyants et à même de retrouver le vrai dans toutes ces couches de simulacres.
Mais accuser une parole qui ne relève ni de l’un ni de l’autre, l’élever au rang d’info tout en la rabaissant au faux, est-ce véritablement casser l’ambiance dominante ? Est-ce vraiment renverser le faux pour faire gagner le vrai ?
C’est tout le paradoxe de voir des “fake news” partout, ce n’est pas tant le vrai qui nous obsède, mais le faux… confirmant ainsi ce que disait Debord : l’effacement des limites du vrai et du faux.
Non, on est devenu pire que Debord
Comment distinguer alors une vraie “fake news” d’une fausse “fake news” ? ou plutôt à quelle moment devient-il légitime de labelliser “fake news” une info ? On en viendrait presque à se demander : qu’est-ce qu’une bonne “fake news” ?
C’est d’ailleurs toute l’absurdité de l’extension d’une telle accusation : il s’agirait désormais de remettre des limites non pas entre le vrai et le faux, mais entre le vrai-faux et le faux-faux.
C’est toute l’absurdité, mais surtout tout le problème de voir du faux partout : car souvent, on ne prétend même pas dire le vrai, on veut juste dire quelque chose.
Comme si, désormais, régnait cette conviction que la moindre chose prononcée devrait être vraie ou fausse. Comme si le faux, et plus la vérité, était devenu le seul critère, l’unique et l’absolu.
Mais qu’en est-il des discours, des paroles, qui sont sans enjeux ? qui ne prétendent qu’être des opinions ? des sentiments ? qui n’ont rien à voir avec le vrai et le faux ?
Finalement, on n’est pas devenus debordiens, on est devenus le cauchemar de Debord : où ce qui domine, ce n’est pas la fausseté, mais pire, la recherche de la fausseté.
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