Comment devenir un boomer ?

Pas de gif possible
Pas de gif possible ©Getty - Brais Seara
Pas de gif possible ©Getty - Brais Seara
Pas de gif possible ©Getty - Brais Seara
Publicité

Et ça, même sans être né entre 1943 et 1966 ?

C’est le site Vice qui a sorti l’information : si vous utilisez encore des Gif (comme c’est mon cas), soit ces images numériques qui se répètent en boucle, c’est que vous êtes un boomer.

Ça se trouve, vous avez à peine dépassé les 30 ans et vous en êtes déjà un… en tout cas aux yeux de la société, vous en êtes un, d’un coup d’un seul, tout ça parce que vous avez eu recours à ce type d’image.

Publicité

C’est assez injuste d’ailleurs, on était hyper à l’aise, on se sentait inattaquable en balançant des Gifs à tout va, des nounours qui sautent, des Leonardi DiCaprio coupe à la main, des petites filles dubitatives…

Et puis, non, rappel à l’ordre : ce n’est pas seulement qu’on a vieilli et qu’on l’apprend à nos dépens, mais que tout le monde le sait et nous classe désormais dans la case floue mais tant redoutée du “boomer”, soit cet individu avec des idées datées sur l’écologie ou les femmes.

On en viendrait presque à parler d’une nouvelle hantise : celle d’être un boomer, du moins celle d’être étiqueté “boomer”, ce qui pose la double et douloureuse question : qu’est-ce qu’un boomer et qu’est-ce qu’une étiquette ?

Etre ou ne pas être une étiquette

Revenons aux fondamentaux… l’étiquette : car ce qui est bien avec l’étiquette, c’est qu’Henri Bergson en a déjà parlé, et très bien :

Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance s’est accentuée sous l’influence du langage. Car le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous.

Bon, à partir de là et pour répondre à la question “qu’est-ce qu’une étiquette”, on peut donc répondre : peu de choses puisque l’étiquette n’est justement pas une chose, mais s’insinue entre nous et la chose.
Au fond, l’étiquette a beau avoir un pouvoir, faisant tout à la fois écran et signe, elle n’a ni complexité ni consistance, elle n’a pas d’être.

Être étiqueté “boomer”, ce n’est donc déjà pas “être” boomer. Ce qui nous conduit ainsi à la 2ème question : être boomer a-t-il en tant que tel, et indépendamment de l’étiquette, un sens ? pour ceux qui sont nés entre 43 et 66, comme Emmanuel Todd par exemple, oui, mais pour les post-66 qui utilisent des Gifs ?

Non, Emmanuel Todd serait né en 67, mais aurait utilisé des Gifs tout en écrivant un livre pro-patriarcat, on aurait pu l’étiqueter “boomer” mais pas dire que c’était objectivement un “boomer”.
Pourtant… et oui, pourtant, apparaît cet unique mais néanmoins douloureux paradoxe : malgré cette absence de consistance de l’étiquette “boomer”, comment expliquer que l’attaque soit alors si consistante ?

"Nous mouvant parmi des symboles"

Bergson, dans la suite de sa réflexion sur l’étiquette, déplore (mais je crois qu’on l’a compris) l’appauvrissement des choses mais aussi des états d’âme au contact du langage, au point de déclarer que : “nous mouvant parmi des généralités et des symboles, l’individualité nous échappe”.

C’est vrai, mais avait-il saisi le pouvoir de l’étiquette, non pas d’appauvrissement de l’individualité mais d’enrichissement de notre sociabilité, ou de notre socialité si on peut dire ?
Avait-il saisi qu’en dehors de l’être des choses et de la complexité des états d’âme, existait justement une autre catégorie d’existence, ce qu’il nomme justement “symboles” ?

Ben oui, puisqu’il en parle, mais avait-il perçu la manière dont ce genre d’étiquettes (bobo, hipster, vieux con, boomer) avait à la fois, et on le sait tous, quelque chose d’aliénant et de simpliste mais également de percutant, cette capacité à situer d’un trait l’enjeu d’un propos et à faire confiance à notre interlocuteur.

Comme quoi, gif ou pas, définition ou pas du boomer, on se comprend bien, non ?