Le bienfait du déni

Une forme de déni ?
Une forme de déni ? ©Getty - Pierre Longnus
Une forme de déni ? ©Getty - Pierre Longnus
Une forme de déni ? ©Getty - Pierre Longnus
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J'aurais préféré ne pas savoir.

Tout a commencé jeudi dernier, ici même. Dans ce studio, lors d’une émission consacrée au covid. Et pour être plus précise encore, je dirais que tout a commencé aux alentours de 8h30, au moment où l’un de vos invités a évoqué la persistance de certains symptômes notamment chez les femmes entre 30 et 40 ans. 

Parmi ceux-là : fatigue, toux, mais aussi perte de mémoire, douleurs musculaires, problème de concentration, etc. 

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Evidemment, je me suis tout de suite sentie concernée : pas que j’aie ces symptômes, mais le simple fait de les entendre évoquées, et donc de les envisager comme une possibilité, les a d’emblée rendus, non pas seulement possibles, mais probables. 

Et si, moi qui ai eu le covid, et si, moi qui ai entre 30 et 40 ans, et si, moi qui suis une femme, et si, moi aussi donc, je connaissais ça ? 

Hypocondrie ou paranoïa ? 

L'hypocondrie peut être une 1ère explication. Mais n’étant pas une hypocondriaque confirmée, j’ai tenté d’en trouver d’autres. 

Pourquoi aurais-je préféré ne pas savoir ce qui peut se produire une fois qu’on a eu le covid ? Comment en suis-je venue à regretter mon ignorance ? 

C’est troublant parce que personne ne peut, raisonnablement, soutenir qu’il préfère ne pas savoir au fait de savoir, ceux qui ne savent pas pensant d’ailleurs souvent savoir. 

Mais là, et ça arrive à d’autres moments (comme l’adultère ou des paroles de chansons absurdes), l’ignorance, ou plutôt le déni, deviennent paradoxalement ultra séduisants. 

“Les médecins ne se contentent point d’avoir la maladie en gouvernement, ils rendent la santé malade, pour qu’on ne puisse en aucune saison échapper à leur autorité. D’une santé constante et entière, n’en tirent-ils pas l’argument d’une grande maladie future? J'ai été assez souvent malade: j'ai trouvé sans leurs secours mes maladies aussi douces à supporter qu’à nul autre”. 

Voici une 2ème explication fournie par Montaigne dans les Essais : non pas l’hypocondrie de l’individu, soit cette tendance à voir la maladie partout et surtout en soi, mais la tendance des médecins à voir la maladie partout mais d’abord chez les autres. 

Explication qui a de quoi plaire mais qui a ses limites, car on devient alors suspicieux, pour ne pas dire complotiste. Et qui a surtout le défaut de remplacer la question “et si j’avais telle maladie” par “et si on me voulait du mal”. 

Ce qui n’est plus la peste ou le choléra, mais l’hypocondrie ou la paranoïa. Ce qui n’éclaire pas mon paradoxe : pourquoi une fois que l’on sait, en vient-on à ne plus vouloir savoir, voire à tenter de nier ce savoir ? 

Mon affaire, ou plutôt mon problème de déni. Problème quand même assez passionnant puisqu’il s’agit de savoir : comment est-il possible de nier ce que l’on sait ? 

Mourir d'en savoir trop 

Concrètement, il n’y a pas 3000 solutions, soit on oublie, soit on interprète autrement la réalité. Bref, on refoule. Et on sait qu’il y aura un retour. 

Ce qui est quand même, quand on y pense, assez dramatique car, imaginez, cela veut dire qu’une fois que l’on sait, on sait. Et c’est tout, rien à faire. 

Certains trouvent ça peut-être réjouissant ou rassurant quant au savoir, mais n’est-ce pas aussi vertigineux ? 

Car la volonté bute alors sur la connaissance, ou l’esprit ou l’entendement, appelez-le comme vous voulez : quoique vous fassiez, vous savez. Et contre toute attente, cette connaissance ne vous nourrit pas seulement, mais vous hante, vous angoisse. 

Montaigne disait aussi : “Tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant", j’ajouterais “et d’en savoir trop”.