Ringarde et covidée

Eh bien voilà, ça y est, ça m’est tombée dessus : j’ai eu le Covid.
Et vous savez quoi, avoir le Covid en avril 2022, ça n’a rien à voir avec l’avoir en avril 2020, là où tout le monde restait un peu interdit, bouchée bée, presque fasciné, ni avec l’avoir en avril 2021 là où tout le monde y allait de son analyse sur les vaccins (à quoi ça sert ou fallait te faire vacciner plus tôt)…

Non, l’avoir en avril 2022, c’est l’avoir précisément au moment où ce n’est plus d’actualité. Pas que le Covid ait disparu, mais il n’est plus un sujet.
D’autant, c’est vrai, que j’ai eu le mauvais goût d’être positive au lendemain des élections… j’étais donc vraiment pas raccord.

Je ne dirais pas que tout le monde s’en fiche (je n’ai reçu que des messages gentils d’ailleurs) mais clairement, en plus de n’être plus une actualité, c’est une chose que ce même "tout le monde" a déjà eu.
La formule est importante "déjà eu", c’est un déjà connu, un "déjà vu"…

"Le grand guide de la vie humaine"

Ce n’est pas tant une question d’originalité, c’est plutôt la question d’être légèrement à contretemps, ringard…
Tout va tellement vite que même les pandémies (et même quand elles ne sont pas encore finies) passent de mode en 2 ans. Et ça a beau encore exister, être là, ce n’est pourtant pas présent. Du moins, moins notable.

Ce n’est donc vraiment pas une question d’originalité ou de nouveauté, c’en est même le contraire : c’est une question d’habitude.
Là-dessus, les avis seront forcément partagés : certains pourront déplorer qu’on s’habitue à une telle situation (loin d’avoir dit son dernier mot), quand d’autres se diront qu’on doit bien continuer à vivre, à faire avec, à s’habituer justement.

Ces autres allant peut-être, comme David Hume, jusqu’à voir dans cette habitude un bon signe :

"L'accoutumance est le grand guide de la vie humaine. C'est ce principe seul qui nous rend l'expérience utile, et nous fait attendre, dans le futur, une suite d'événements semblables à ceux qui ont paru dans le passé."

Pour Hume, l’accoutumance ou l’habitude est la grande affaire : il y voit plus qu’un bon signe, il y voit le signe de la connaissance et d’une éthique.
Ce qui est, quand même, assez paradoxal : car c’est au moment où un sujet n’est plus un sujet, où il n’est plus interrogé, discuté, où il est devenu quotidien, habituel, où il n’étonne plus personne, qu’il devient précisément un sujet, pour nous, et même un sujet vital.

Le problème de la généralité

Il y a toujours quelque chose de vexant à faire comme tout le monde, déjà parce que, d’une part, on n’est plus la personne qui a échappé au covid, mais parce qu’il y a, d’autre part, quelque chose de vexant à faire comme tout le monde… après tout le monde.

Mais comme le sous-entend Hume avec son expression de « grand guide de la vie humaine » à propos de l’habitude, il y a aussi là quelque chose de rassurant.
Car ne se joue plus alors le problème de l’exception mais de l’ordinaire, de l’inattendu mais de l’espoir, de la singularité mais de la généralité.

Vais-je vivre cette expérience telle qu’elle est connue de tous ? Telle qu’elle m’a été racontée ? Est-ce que je vais avoir les mêmes symptômes ? Est-ce que je vais pouvoir vérifier et partager à mon tour les conversations du quotidien ?

Ce qui, quand on y pense, est, sur le moment, une des rares expériences où on peut se réjouir d’être ultra-conforme, de ne pas trop déroger à la règle, et d’y aller ainsi presque les yeux presque fermés, pas trop inquiets.

Mais ce qui, pour l’après, constitue un des rares moments de notre vie où, pour une fois, on va vraiment parler "en connaissance de cause" en n’ayant pas travaillé. Ça y est, je l’ai eu, je sais ce que c'est, et ça, même si c’était à contretemps.