Tout se banalise

Tous pareil
Tous pareil ©Getty - Mike Hill
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... même la banalisation.

Peut-être avez-vous vu passer cette information : la semaine dernière, est parue une note du Conseil scientifique s’ouvrant sur ces mots, effectivement alarmants : “l’épidémie n’est pas finie ! (point d’exclamation)”. 

Largement relayée par les médias, ce qui a cependant retenu l’attention, c’est surtout l’idée d’une “banalisation de l’épidémie”. Et c’est vrai, le Conseil scientifique souligne bien, toujours dans sa note, un “contexte d’indifférence” à l’égard du covid. 

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Mais j’irai plus loin que le Conseil scientifique et au-delà du covid : il y a, de manière générale, un contexte de banalisation. Tout se banalise, ou court le risque d’être banalisé. A en croire, en tout cas, les actualités. 

Faites une rapide recherche, et vous serez frappé par le nombre de choses dites menacées par le phénomène de la banalisation : le covid, donc, mais aussi, le burn-out, le recours aux consultants, le bio, la haine, la cigarette… et j’en passe. 

Banalisation de la banalisation

On pourrait donc dire que même la banalisation se banalise. C’est terrible… mais rien de plus banal désormais que la banalisation, ou le risque de. D’une certaine manière, c’est presque le contraire d’un paradoxe : la banalisation coïncide enfin avec elle-même. 

Et dire qu’on craint la banalisation revient à échanger une banalité. Rien de nouveau sous le soleil, depuis l’avènement de la démocratie. Et même avant : 

“À partir du moment où les citoyens ont possédé la terre, tous les procédés qui se découvrent, tous les besoins qui viennent à naître, tous les désirs qui demandent à se satisfaire, sont des progrès vers le nivellement universel : le goût du luxe, l’amour de la guerre, l’empire de la mode, les passions les plus superficielles du cœur humain comme les plus profondes…”

Partant de ce constat de nivellement universel (et c’est Alexis de Tocqueville qui le fait… toujours bien à citer Tocqueville, d’ailleurs, dès qu’on parle uniformisation, conformisme ou standardisation), partant, donc, de ce mouvement inéluctable qui fait que tout s’égalise, et même le pire…, qu’est-ce qui fait qu’on en soit encore à alerter sur des phénomènes de banalisation ? 

Et à quel moment on se dit que c’est un argument payant pour éveiller les consciences, sachant qu’en plus, tout le monde l’utilise et que tout semble susceptible d’être banalisé ? Car c’est bien ça le paradoxe : pas que la banalisation soit banale, mais de penser qu’en parlant toutes et tous de banalisation, on peut quand même la rendre exceptionnelle. 

S'en distinguer

Dans la mesure où tout se banalise, pourquoi le signaler ? pourquoi ne pas parler directement de ce qui est précisément en train de se banaliser ? et se passer de ce lieu commun de la banalisation ? 

Lieu d’autant plus commun qu’il ne fait pas seulement partie du vocabulaire qu’on rencontre chaque jour dans les infos, mais qu’on le vit chaque jour en notre for intérieur. Car oui, avant de craindre que le covid ou le bio ne se banalisent, notre 1ère crainte, c’est de l’être, nous. Pas banalisé, mais terriblement banal. 

Personne n’a envie d’être banal, et donc, tout le monde le devient. Et au moins, parce qu’on partage tous cette crainte de la non-distinction, de la non-reconnaissance.
C’est d’ailleurs le problème de la banalisation, son comble : elle est non seulement inéluctable, dans les faits, mais impossible à contourner, en théorie. 

Sauf, justement, à ne pas tenter de s’en alerter. Vive la banalisation, c’est le meilleur moyen de s’en distinguer.