"C'est long" : pourquoi a-t-on souvent ce sentiment de longueur ?

Question de longueur
Question de longueur ©Getty - Olena Ruban
Question de longueur ©Getty - Olena Ruban
Question de longueur ©Getty - Olena Ruban
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Et ça arrive souvent, d'une réunion à des résultats de présidentielle.

“C’est long”. Voilà ce que j’ai le plus entendu autour de moi hier, tout au long de la journée. 

Rapport évidemment aux résultats du 2nd tour des élections. Et c’est vrai, qu’est-ce que c’était long, notamment à partir de 15h en ce qui me concerne, où là j’ai vraiment eu l’impression que c’était super long. 

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C’est un sentiment qu’on ressent d’ailleurs souvent : la longueur. Peut-être parce qu’on est moins habitué à attendre, qu’on s’est fait à l’idée que tout était urgent, à régler rapidement, à faire en 5 minutes. 

J’imagine qu’on pourrait tout mettre, d’ailleurs, sur le dos de notre époque où tout va de plus en plus vite, comme tout le monde aime à le dire toujours de plus en plus fort, mais est-ce seulement un problème d’accélération du monde ? 

Car quand c’est long, c’est long. Y a rien d’autre à dire, quelle que soit l’époque et sa temporalité. Ca s’étend, ça s’étire, et ça va de l’après-midi pluvieuse à la salle d’attente. Et jusqu’à des résultats d’élections ou 5 ans de mandat. 

L'expérience du temps

Ce n'est pas tant l’expression qui m’intéresse (parce que quand on dit “c’est long”, je crois que c’est assez littéral), mais c’est plutôt ce sentiment de longueur. Et qui n’a pas seulement à voir avec le contexte de l’époque. 

Pourquoi a-t-on ce sentiment ? La question se pose d’autant plus qu’on  a rarement celui du court (sauf à dire que c’est déjà fini et donc, à ne plus y penser)... et elle se pose d’autant plus qu’on devrait plutôt caractériser ce temps long en fonction de son effet : ennui, impatience ou inquiétude, entre autres. 

Et pourtant, non. C’est uniquement ce long qu’on ressent, et rien d’autre. Quoi qu’en dise Emmanuel Kant : 

“Le temps n’est pas un concept empirique qui dérive d’une expérience quelconque. En effet, la simultanéité ou succession des choses ne tomberait pas sous la perception, si la représentation du temps ne lui servait a priori de fondement”. 

Là, il faut que je fasse un point, parce que c’est pas une citation facile (en même temps, c’est du Kant) : bon, ce que nous dit Kant ici, c’est qu’on ne perçoit pas le temps lui-même, mais des choses qui se produisent dans le temps. 

Autrement dit : parce qu’il est un a priori, un fondement, de l’expérience (comme l’espace d’ailleurs), on ne fait jamais l’expérience du temps en tant que tel. 

Ce qui me semble quand même paradoxal : car quand on dit que c’est long, qu’est-ce qu’on expérimente si ce n’est le temps lui-même, en tant que tel, de manière pure ? 

Une banalité

Si on est kantien : on pourrait très bien se dire que, quand on pense que “c’est long”, on ne fait toujours pas l’expérience du temps en tant que tel... mais l’expérience, effectivement, de l’absence de choses se produisant dans ce temps. 

D’accord, mais est-ce que ça ne revient pas au même ? Car si on fait l’expérience du rien, ne faut-il pas quand même du temps pour percevoir ce rien ? Ne faut-il pas un fondement temporel à cette expérience ? 

Et si oui, que reste-t-il alors ? Eh bien, du temps. Juste du temps. 

Mais… et c’est tout le drame du temps : on n’a, en général, presque rien à en dire. Hormis, des banalités, comme “c’est long”...
C’est au moins l’avantage, le seul, de ce sentiment de longueur qu’on ressent tant de fois, d’un débat d’entre-deux-tours à un discours de réélection : 

il nous révèle qu’à partir du moment où on le ressent, où il prend une tournure empirique, hélas pour lui, c’est bien qu’on est en train de vivre une expérience terriblement quelconque.