Machiavel, McKinsey et la longue tradition du conseil

Paranoïa
Paranoïa ©Getty - CSA Images
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Peut-on donner un conseil gratuitement ?

Évidemment, je n’ai pas pensé à la notion de conseil comme ça, en l’air, c’est l’affaire McKinsey qui m’y a fait penser. Et quand je dis affaire, je devrais peut-être dire scandale, voire affaire d’Etat (mais ça, l’avenir nous le dira)…

Petit rappel pour ceux qui n’y sont pas : McKinsey est un cabinet de conseil, auquel le gouvernement a eu recours, et ça, plusieurs fois. En particulier, pour la gestion de la crise sanitaire. Deux éléments, notamment, ont suscité la polémique :

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-d’une part, le fait que le cabinet ait reçu plus de 12 millions d’euros pour ses différentes missions, sans payer d’impôts (ou à la marge)... ce que McKinsey conteste ;

-et d’autre part, et c’est le point de départ de l’affaire : le fait que les politiques publiques fassent de plus en plus appel à des cabinets de conseil.

Pratiques douteuses, préconisations discutables, doublure privée préférée à l’administration publique, c’est un rapport du Sénat qui dénonce, je cite, ce « phénomène tentaculaire » et « l’influence croissante des cabinets de conseils sur les politiques publiques ».

Et j’insiste sur ce mot « influence »… car tout est dans tout ce mot « influence »…

Un conseil est-il un don ?

Ce que révèle cette affaire (au-delà du scandale des impôts) : c’est ce soupçon qui plane sur chaque conseil donné, sur l’idée même de conseil : entre le conseil et l’influence, voire la manipulation, y a-t-il une différence ?
Un conseil ne peut-il être qu’un conseil, à savoir un avis désintéressé sur ce qui doit être fait ou pas ? Ou se joue-t-il toujours qqch de plus ?

« Ceux qui ambitionnent d’acquérir les bonnes grâces d’un prince ont ordinairement coutume de lui offrir, en l’abordant, des chevaux, des armes, des pièces de drap d’or… Mais je n’ai trouvé, dans tout ce qui m’appartient, rien qui me soit plus cher ni plus précieux que la connaissance des actions des hommes élevés en pouvoir ».

C’est ainsi que s’ouvre Le Prince de Machiavel, poursuivant cette longue tradition (née dans l’Antiquité), mais désormais connue sous forme de PowerPoint : les conseils aux chefs politiques.

Ce qui est bien avec Machiavel, c’est qu’au moins, les choses sont claires. Il n’est pas du tout désintéressé : il veut, comme plein d’autres, acquérir les bonnes grâces du prince.

Ce qui est bien, donc, c’est qu’il souligne le paradoxe du conseil : il n’est jamais qu’un simple avis, donné, mais il est toujours en attente d’un retour, de qqch en plus, d’un gain. Paradoxalement, donc, un conseil a autant un intérêt pour la personne conseillée que pour le conseiller lui-même.

De quoi devenir paranoïaque

Machiavel n’était pas payé des millions et pas sûre que les notes produites par McKinsey deviennent un classique de la philosophie (quoiqu’elles ont déjà marqué l’Histoire avec la gestion du Covid).

Mais ce qui est clair aussi, c’est que, dans les deux cas et malgré leur différence, apparaît bien ce problème du conseil : ce n’est pas seulement qu’il n’est jamais gratuit et qu’il a toujours ce fonds intéressé, et ça, malgré son côté « coup de main » sympa…

C’est que son intention est toujours trouble, de quoi devenir paranoïaque : mais qu’attend en fait cette personne qui me conseille ? Qu’a-t-elle à y gagner ? Le fait-elle pour moi ou pour elle ? Par goût du pouvoir, de la domination, pour sa réputation ou la reconnaissance ?

Et cette question, ces doutes, dépassent largement le cadre du conseil politique, ou tarifé : peut-on véritablement délivrer un conseil sans rien en attendre ? Vraiment rien ? Un conseil pur existe-t-il ?

Je ne sais pas ce que va advenir cette affaire McKinsey… mais je sais que certains conseils ont parfois de quoi nous scandaliser.