

Sartre s'est trompé : l'enfer, c'est pas les autres, c'est les notifications.
Vous en recevez des dizaines par jour, parfois même des centaines (sisi). Elles viennent des réseaux sociaux, de vos différentes applications (médias, jeux, messageries), elles prennent différentes formes (push, alertes, mentions…).
Pour ma part, j’en reçois même de ma machine à laver qui m’informe régulièrement du cycle en cours et de sa fin. De toute façon, les notifications, ou “notif” comme on dit, ne s'arrêtent jamais. Elles ne connaissent pas de limites, jour/nuit, ouvré/pas ouvré, peu importe...
C’est peut-être ça d’ailleurs leur caractéristique principale : formes, horaires, sources, tout est bon désormais pour être notifié. Et on a beau tenter d’en mettre, des limites (sourdine, muet, suppression), elles continuent encore et encore. Elles nous assaillent, nous fatiguent, n’arrivent jamais au bon moment.
Il y a quelques années, être notifié était pourtant une chose assez rare, c’était au sens 1er une alerte : on l’était, par exemple, quand on avait affaire à la justice (pour assignation à comparaître). Mais aujourd’hui, étant notifié tout le temps, serait-on tombé dans un perpétuel état d’alerte ?
Pire que le gril
Jean-Paul Sartre, Huis-Clos :
“Je comprends que je suis en enfer. Je vous dis que tout était prévu. Ils avaient prévu que je me tiendrais devant cette cheminée, avec tous ces regards sur moi. Tous ces regards qui me mangent… Alors, c'est ça l'enfer. Je n'aurais jamais cru... Vous vous rappelez : le soufre, le bûcher, le gril... Ah ! quelle plaisanterie. Pas besoin de gril : l'enfer, c'est les Autres.”
Et on pourrait donc dire avec Sartre : pas besoin de gril : l’enfer, c’est les notifs.
Dans Huis-clos, l’argument est clair : l’enfer, c’est les autres, parce qu’on doit faire AVEC les autres, parce que ces autres viennent forcément limiter ma liberté et m’enfermer dans une image qui me réduit à l’état d’objet. Plus grave que le mal qui nous fait souffrir, physiquement (immolation, intoxication, asphyxie), il y a donc le fait de vivre avec d’autres que soi.
Ce qui, d’une certaine manière, rejoint exactement l’effet des notifications, en pire : celles-ci n’étant pas seulement le signe de la présence des autres, mais l’avertissement répété et martelé de leur existence (même quand ceux-là n’ont pas d’âmes).
Ces autres, désormais multiformes (ça va d’un rappel de rendez-vous à votre machine à laver) ne se contentent pas d’être disponibles mais le manifestent, et attendent EN PLUS quelque chose de nous : qu’on clique sur eux, comme des automates.
Décharge mentale
Si on ne meurt qu’une fois, on peut souffrir très longtemps et à petit feu de ce genre de choses, comme si on était rongé, grignoté de l’intérieur, par ces notifications permanentes.
Et tout est dans ce paradoxe : être alerté en permanence. De la même manière qu’on déplore un état d’urgence devenu permanent, il faut s’auto-alerter de ces alertes éternelles. En jeu : évidemment, la hiérarchie des priorités, le nivellement des informations, les troubles de l’attention, la confusion spatio-temporelle, mais surtout, surtout : la pollution mentale.
Certes, Jean-Paul Sartre pensait que le grand danger, c’était la limitation de ma liberté… mais je dirais que le problème, c’est plutôt l’extension de ma non-liberté, mon esprit s’étendant au fur et à mesure qu’il emmagasine, bouffe, avale de l’info (et même pas informative).
Bizarre d’ailleurs qu’on parle de charge mentale, mais pas de décharge mentale tant, parfois, souvent, j’ai du mal à faire le tri.
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