

... mais qu'on n'arrive pas à expliquer.
Depuis 2 ans, la ville de Halifax voit sa population divisée en deux. La cause de ce clivage : pas la politique, pas la religion, pas les mœurs. Non. En cause : le bruit, ou plutôt un bruit non identifié. Un ronronnement sourd et persistant (baptisé “hum”), et seulement perçu par une partie des habitants.
Une femme d’une cinquantaine d’années, par exemple, l’entend ainsi tous les soirs, à 19h, dans son salon, mais pas son mari ni son fils. Elle en a cherché partout l’origine (appareils électriques, vent, voisins, l’usine d’à côté…), rien. Un mystère.
Même chose pour ceux qui perçoivent aussi ce son (appelés les “hummers”) et qui le comparent à un aspirateur, une machine à laver, ou encore un moteur d’une voiture Diesel… mais qui n’arriverait jamais. Mais là encore, les mots ou les images manquent… De quoi devenir fou.
Ce qui soulève, c’est vrai, la question du bruit… mais aussi celle de la difficulté qu’on a à expliquer une chose qui nous rend dingue.
Intensité Vs. étendue
En général, on arrive à dire ce qui nous insupporte. Même imparfaitement. Et tout est dans cet “imparfaitement”. Là, c’est un bruit, mais ça peut être tout et n’importe quoi. Une odeur, une expression, une habitude prise par votre conjoint ou une remarque de votre mère.
Et tout à coup, ce qui n’est rien pour quelqu’un, prend paradoxalement toute la place pour vous. C’est insurmontable. Ca n’est pas une vue de votre esprit, ça existe, et ça devient tout. Pourquoi ne pas s’habituer ? Comment en parler ? Comment dire avec précision que ça nous rend fou ?
“Quand je passe par un certain état psychologique, je connais avec précision l'intensité de cet état et son importance par rapport aux autres ; non pas que je mesure ou que je compare, mais parce que l'intensité d'un sentiment profond n'est pas autre chose que ce sentiment lui-même.”
Cette question de comment rendre compte de l’intensité d’un sentiment, Henri Bergson la soulève dans son Essai sur les données immédiates de la conscience. Et comme on l’a entendu : il semble évident de connaître, de soi-même, l’intensité de nos sentiments.
Mais comment les partager avec les autres, ces autres qui ne mesurent pas l’étendue de notre problème ? Car voilà, le problème est là : ce n’est pas une question de bruit, de mal-être subjectif, ou encore de langage, mais d’intensité et d’étendue.
Reprenons : Bergson nous dit qu’on connaît avec précision l’intensité de son état psychologique, sans même le mesurer. Quant aux autres… eh bien, malgré toute l’empathie du monde, personne ne peut se mettre totalement à notre place.
Un aspirateur x1000
Pour rendre compte de cet état psychologique à un autre que soi, nous sommes obligés d’en passer, je cite, par un “signe précis et de nature mathématique”. Autrement dit, il faudra traduire l’intensité de son sentiment en étendue chiffrée.
En ayant recours à un exemple, type : “tu vois, c’est comme un bruit d’aspi mais X1000”. Pas sûre que ça parle vraiment à son interlocuteur, mais disons que ça donne une idée. Mais seulement une idée. Et pas un sentiment.
Et c’est là où on en revient à notre problème, celui des hummers d’Angleterre mais aussi le nôtre quand une chose dérisoire pour le reste du monde, prend une place considérable dans nos existences :
on aura beau trouver les mots, les mesures, et toutes les explications possibles pour partager ces sentiments qui nous obsèdent, on n’y arrivera jamais. Et on pourra bien nous dire “je te comprends”, dites-vous que ça ne sera qu’un bruit de fond, loin de la réalité.
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