... depuis les résultats des élections présidentielles.
Je vous parle ce matin de sentiments mêlés... pour ne pas dire contradictoires. Je ne sais pas vous, mais moi, depuis dimanche soir et la réélection d’Emmanuel Macron : j'entends beaucoup que certains sont à la fois soulagés et déprimés. Soulagés que l’extrême-droite n’ait pas gagné et déprimés qu’on en ait encore pour 5 ans d’Emmanuel Macron.
J’imagine que certains électeurs ont dû ressentir ça dès les résultats du 1er tour, et encore après, quand ils ont mis leur bulletin Macron dimanche… enfin, d’ailleurs, je ne l’imagine pas : ceux-là en ont largement fait part à travers les réseaux sociaux, à base de mines dégoûtées, de pleurs et de nez bouché.
C’était d’ailleurs beaucoup trop, mais cette mise en scène avait au moins un avantage : nous révéler l’état d’esprit d’un front républicain, où l’on vote moins de gaieté de cœur que par peur. Et où, à l’annonce des résultats, est donc apparu ce paradoxe : un état d’esprit entre soulagement et grosse déprime.
La soif et l'humide
Évidemment, tout est toujours plus nuancé et compliqué que ça. Mais pourquoi a-t-on malgré tout l’impression d’expérimenter quelque chose d’inédit, en étant à la fois soulagé et déprimé, avec cette réélection ?
Pour y répondre, le mieux est peut-être de commencer avec le soulagement. Et ça tombe bien car le Philèbe, un dialogue de Platon entre Socrate et Protarque, aborde justement ce point là :
“La soif est une douleur ; au contraire, la qualité de l’humide qui remplit ce qui est desséché, est un plaisir. De même le sentiment d’une chaleur excessive et contre nature cause une douleur, alors que le rétablissement dans l’état naturel et le rafraîchissement est un plaisir.”
En prenant l’exemple de la soif et de la chaleur, Socrate décrit exactement en quoi consiste le soulagement : celui-ci procure du plaisir parce qu’il correspond à la cessation de la douleur, causée par la soif et la chaleur.
Ce qui rejoint précisément la sensation ressentie lorsque le visage de Macron est apparu sur nos télés dimanche à 20h : la souffrance a cessé, et tel un bon verre d’eau, Macron a rétabli un état normal.
Mais est-ce véritablement du plaisir ? C'est bien la question soulevée par Socrate à propos du soulagement, à laquelle celui-ci répond par la négative : non, le soulagement n’est pas un plaisir en tant que tel, mais seulement l’envers de la douleur.
Ce qui veut dire qu’être soulagé, et contrairement à ce que l’on pense, va toujours de pair avec une forme de souffrance.
Passé et futur
Sans souffrance, pas de soulagement, et inversement. Et même quand on est soulagé, persiste le souvenir de la douleur, qui rend d’ailleurs encore plus grand le soulagement.
Mais le soulagement a beau être un plaisir impur (c’est la formule de Socrate) va-t-il pour autant avec le sentiment de déprime ?
Car la déprime n’a rien à voir avec une douleur passée mais se ressent bien au présent et met en doute l’avenir.
Et c’est là qu’apparaît le véritable paradoxe de l'état actuel : s’entrechoquent le soulagement lié au passé et la déprime liée à l’avenir.
Ce qui nous révèle que le problème de cet état bizarre n’est pas tant une affaire de sentiments contradictoires mais de temporalité.
Comment faire quand se rencontrent en nous passé et futur qui s’annulent dans l’instant présent ? Dois-je faire face en pensant sans cesse au soulagement passé ou dois-je baisser les bras en embrassant ma déprime à venir ? Qui va triompher dans cette lutte ?
Et est-ce d’ailleurs à moi de réagir ? Car c’est aussi toute la tragédie : soulagée ou déprimée, ou les deux, on ressemble à la scène d’une pièce qui se joue sans nous… enfin, jusqu’au prochain vote, jusqu’aux législatives.
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