Le "coup de vieux"

C'est la fête.
C'est la fête. ©Getty - HollenderX2
C'est la fête. ©Getty - HollenderX2
C'est la fête. ©Getty - HollenderX2
Publicité

Parce qu'on en a tous eu un, voire plusieurs.

C’était un soir de cette semaine, je ne sais plus quand… Il faut d’abord préciser que ma fille de 3 ans, est, en ce moment, fascinée par les personnes âgées. Pourquoi on vieillit ? Et moi, est-ce que je vieillis ? Et quand on vieillit, est-ce qu’on meurt ? 

Vous voyez le genre de questions… autant dignes d’un enfant que d’un grand philosophe. 

Publicité

Bref, un soir de cette semaine, au moment du coucher, celle-ci a voulu me dire une chose : elle m’a chuchoté, tout doucement, à l’oreille : “bonne nuit, vieille peau”. 

Je sais très bien comment elle a appris cette expression, elle m’a entendue la dire. Mais ça n’a rien changé, le coup a porté et à ce moment-là : tout en souriant, je me suis sentie vieille. Ou plutôt, j’ai eu ce qu’on appelle un “coup de vieux”. 

Ce qui n’a rien à voir avec le fait d’être vieux. On peut, par exemple, tout à fait prendre un coup de vieux à 22 ans. Et c’est bien ça qui m’a frappée, avec ce “vieille peau” : le sentiment de se sentir vieux d’un coup, sans raison spéciale, sans l’être spécialement. 

Tous sauf Montaigne

La vieillesse n'est pas une question d'âge... c’est ce que disent tous ceux qui vieillissent, comme vous et moi. C’est dans la tête, et si c’est dans la tête, il suffit de se dire que vieillir n’est pas une fatalité ni une maladie.
C’est d’ailleurs ce que disaient déjà les philosophes dans l’Antiquité, Sénèque, Platon ou Cicéron qui en même fait l’éloge. 

Il y en a pourtant un, beaucoup plus tard, qui a osé dire le contraire. Et celui-ci, c’est Montaigne qui, pour le coup, s’est senti vieux à 30 ans : 

« Depuis cet âge, et mon esprit et mon corps ont plus diminué qu’augmenté, et plus reculé qu’avancé. Il est possible qu’à ceux qui emploient bien le temps, la science et l’expérience croissent avec la vie; mais la vivacité, la promptitude, la fermeté, et autres parties bien plus nôtres, plus importantes, et essentielles, se fanent et se languissent ». 

Montaigne va jusqu’à dire ça : “Ce que je serai dorénavant, ce ne sera plus qu’un demi être, ce ne sera plus moi”. Avait-il raison ? Etait-il pessimiste ? Après tout, peu importe, car ce qui est paradoxal, ce n’est pas tant d’aller contre les préjugés de la vieillesse (bons ou mauvais)... 

Mais c’est ce “coup de vieux”, littéralement, car on ne vieillit jamais d’un coup et pourtant on ne mesure la vieillesse que d’un coup. Il suffit d’une remarque, d’une ride, d’une photo. De presque rien, et pourtant, en un instant, de ce presque rien, surgit le sentiment vertigineux du temps qui passe. 

La perception du temps qui passe

Le problème, c’est le temps qui passe, qui se déroule malgré nous, lentement et progressivement, mais qui, cependant, semble se figer, se cristalliser à des moments-clés. 

Mais ce problème, ce n’est donc pas seulement celui du temps qui passe mais de la perception du temps qui passe : pourquoi a-t-on (parfois ou souvent) l’impression de vieillir d’un coup ? 

Pourquoi est-on frappé par moments de ces transformations, et pas à d’autres? Pourquoi à 30 ans pour Montaigne, et pas après ?
Alors qu’on sait bien que les révolutions ne se font jamais en un jour, qu’elles ne se réduisent jamais qu’à une seule date, pourquoi n’en retient-on, malgré tout, que l’événement ponctuel ? 

Peut-être parce qu’on deviendrait fou à tenter de mesurer, chaque jour qui passe, les modifications, souvent imperceptibles de nos traits et de notre caractère… 

Peut-être aussi parce qu’une expression comme “coup de vieux” n’a rien d’une vague tournure mais restitue précisément le fait qu’on ne sent jamais le temps qui passe sauf par à-coups. 

Ce qui, parfois, peut effectivement faire mal.