Des excuses étaient attendues de la part de Jean-Michel Blanquer, mais que valent des excuses ?
Je n’étais pas du tout en train de relire le Traité des vertus de Vladimir Jankélévitch, quand je suis pourtant tombée sur un énième commentaire concernant l’affaire Ibiza de Jean-Michel Blanquer, énième commentaire concernant ses non-excuses sur ses vacances symboliquement douteuses dans le froid espagnol.
Et il se trouve que l'on trouve, dans ce Traité des vertus (IIème livre, 2ème volume, dans un chapitre sur le pardon), ce passage fort intéressant à propos de l’excuse :
L’excuse a besoin de raisons pour acquitter le coupable : car l’excuse, excusant la faute par des circonstances atténuantes, ou constatant que la faute est nulle et non advenue, est conservatrice et nivelante.
Me voici alors munie d'un sujet tout trouvé : que peut bien valoir une excuse. Alors, comme vous l’avez entendu : selon Jankélévitch, mais sûrement selon le reste du monde (on est tous d’accord là-dessus) l’excuse excuse, c'est-à-dire qu’elle procure des raisons dans le but d’atténuer la faute.
C’est plus ou moins d’ailleurs, ce qui était attendu du Ministre de l’éducation : qu’il nous procure des raisons. A ceci près que personne n’attendait que ces raisons atténuent quoi que ce soit à sa faute (certains ne voyant aucune faute, les autres ne voulant admettre la nullité de celle-ci). De là une interrogation, qui dépasse le cas Blanquer : l’excuse sert-elle encore à excuser ?
Performance du coupable
Contrairement à ce qu’énonce donc Jankélévitch, si l’excuse a besoin de raisons, elle ne semble pas forcément conserver et encore moins niveler la situation. Si on pardonne une personne qui nous a trompé (ce qui est bien différent car le pardon pardonne ce qui est inexcusable), on n’excuse pas son mari adultère.
D’où cette question : si l’excuse ne conserve pas, ne nivelle pas, si elle n’acquitte pas, si elle n’atténue rien, à quoi bon ? Alors oui, on a quand même tous une petite idée de son utilité : non pas forcément d'éclaircir ou de justifier, mais alors quoi ?
Eh bien, tout simplement : que la faute soit formulée par le coupable lui-même, qu’il reconnaisse qu’il a failli. L’excuse ne sert pas à rien, elle tient de la performance, celle qui rend le fautif publiquement coupable (et ça, même dans la sphère privée) : celui-ci devant, dans le même temps, et par l’excuse, se déclarer coupable et tenter de s’absoudre.
Chérir des fautes
C’est le paradoxe de l’excuse : non pas seulement dans le fait de reconnaître et d’atténuer sa faute simultanément, mais dans le fait de fournir des excuses sans pouvoir s’excuser soi-même.
Encore heureux, un coupable ne peut quand même pas ET commettre une faute ET s’en acquitter lui-même… comme ces enfants qui disent “pardon” tout en étalant de la purée sur la table et qui pensent que “ça va passer”...
Mais non, aucun pouvoir n’est détenu par celui qui s’excuse qui, en commettant la faute, a fait la faute d’être coupable mais surtout d’être jugé, de s’en remettre entièrement à l’autre. De prendre ses responsabilités tout en perdant la sienne.
Ce qui, quand on y pense, donne, par contre, un immense pouvoir à celui à qui on présente ses excuses. Celui-là, réussissant, dans l’histoire de la morale, le tour de force d’être à la fois juge et parti, et qui, d’excuses en excuses, en vient à se délecter de ce spectacle.
Et c’est bien là le problème, car l’excuse devient alors le contraire d’elle-même : elle n’excuse rien, et encore moins d’elle-même. Et nous voici ainsi à la cultiver, réussissant à chérir les fautes tout en banalisant la culpabilité.
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