

Comment la proposition de se retrouver en appartement (pour se protéger de la pluie) a révélé les failles et les détails de mes relations amicales.
Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais samedi, il a neigé. Trois heures. Comme c’est une période rare en événement, j’ai proposé à des amis qu’on se retrouve au parc.
Evidemment, entre le moment où j’ai fait ma proposition et le moment où on s’est retrouvés, la neige avait laissé place à la pluie, les quelques flocons s’étaient transformés en bouillasse, nos manteaux étaient trempés, nos masques humides… Bref, j’ai donc contre-proposé de venir chez moi pour nous réchauffer.
Et là, c’est comme si j’avais lâché une bombe. Ce qui était une simple invitation est devenue une véritable réunion de crise. Que faire ? Se confiner à plusieurs dans un appartement ? Avec untel qui était encore cas contact hier ? Avec cet autre qui enseigne au collège et nous rappelle que les mesures ne sont pas toujours respectées ? Ou avec machin qui ne sait pas mettre son masque ?
J’ai tenté un : "Mais si on garde nos masques et qu’on aère, ça peut le faire, non ?" Mais on m’a regardé atterrés… Un autre a aussi tenté un : "Quand même, on est entre adultes responsables !…" Lequel s’est vu répondre : t’oublie ton gosse de 2 ans qui lèche les cailloux et a le nez à l’air.
En quelques minutes, j’ai eu l’impression d’assister à la fonte de mes propres amitiés, une neige marronnasse sous nos pieds. Un fiasco. Ou pire, une mauvaise parodie d’un sketch des années 90 pour régler l’addition.
Il y a être d'accord et être d'accord
On a tous dû expérimenter cette situation délicate où tu penses être d’accord avec quelqu’un sur le covid (et quoi faire pour s’en protéger), et où, en fait, non, tu découvres que pas vraiment. Mais passe encore avec la famille ou les collègues, mais avec les amis... Comment faire pour supporter, en plus de la distanciation physique et sociale, la distanciation amicale ?
Comment faire quand on se rend compte qu’on est pas ou plus vraiment d’accord ? Vous me direz, pas besoin d’une pandémie pour s’éloigner de ses amis, c’est vrai.
Mais là, la situation est beaucoup plus paradoxale : ce n’est pas que l’on est en total désaccord, au contraire : c’est que l’on est en total accord sur le fond (soit : on veut tous faire attention au covid) mais qu’en même temps, on n’est pas d’accord sur ce même fond (soit : ce que veut dire “faire attention” au covid).
Une question de détails
Pour le dire autrement, on est d'accord sur le fond mais pas sur les détails de ce même fond.
C'est Alexis de Tocqueville, dans La démocratie en Amérique, qui évoque exactement ce même paradoxe quand il fait le tableau des Etats-Unis au XIXème siècle : alors qu’il observe que l’opinion publique, puissance incontestable, règne sur les conduites et les idées des citoyens démocratiques, il constate que, dans le même temps,
“celle-ci se fractionne à l’infini sur des questions de détails.”
Imaginez cela appliqué à un moindre niveau comme la sphère amicale : que penser d’une relation qu’on pensait puissante et égale, en termes de conduites et d’opinions, mais qui se fractionne en même temps à l’infini sur des questions de détails ?
Y a-t-il encore amitié, et même simple relation, dès lors qu’elle se fractionne ? et surtout quand elle porte sur des questions de détails, comme l’usage du gel hydroalcoolique ou le type de masque porté ?
C’est bien le problème : quand on pense être d’accord sur le fond, on n’a aucun problème à louer les désaccords en amitié, mais qu’en est-il de ces mêmes louanges quand on n’est pas d’accord sur les détails ?
Pour ma part, je n’ai pas tranché, c’est le couvre-feu qui l’a fait pour nous à 18h.
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