Antivax, anti-masques, anti-pass, quelle est donc la suite ?
J'ai découvert l'existence d'une nouvelle partie de la population. Est-elle nombreuse, étendue ? Forme-t-elle une entité à part entière ? Va-t-elle bientôt avoir des revendications ? Quel est son réseau ? Vous vous demandez de qui je parle, des anti-test.
Après les antivax, les anti-Macron, les anti-pass, les anti-covid, les anti-masques, les antisystèmes, voici donc les anti-test, soit grosso modo : ceux qui en ont marre des test (pas toujours fiables) et qui misent tout sur l’honneur pour se déclarer covidé ou pas.
Cette population est floue, qu’ont-ils en tête ? comment procèdent-ils ? ne mettent-ils que la moitié de l’écouvillon dans le nez, voire rien du tout ?
Peu importe car ce qui importe ici, c’est cette manière de se positionner, sur le moindre sujet, non pas pour mais contre, sans toujours savoir pourquoi et en vue de quoi on se bat.
Mieux vaut être anti, phobe ou mis-qqch pour se faire entendre. Mieux vaut être contre, voire réac pour penser qu'on pense. Certains, j’imagine, sont même anti-anti.
Et l’opposition qui, jusque-là, de la logique à l’éducation, mettait en balance son opposé (altérité et identité, négatif et positif, faux et vrai) ne sait plus à quoi s'opposer encore.
Une pensée sans contrariété
Est-ce la fin de la pensée binaire ? C’est toute la question. Car pourquoi tout a donc été construit en termes opposés ? Prenez par exemple la logique dans l’Antiquité : Aristote, dans un de ses traités, les Topiques, nous dit ceci :
Le but de ce traité est de trouver une méthode qui nous mette en mesure d'argumenter sur tout problème proposé, en partant de prémisses probables, et d'éviter, quand nous soutenons un argument, de ne rien dire nous-mêmes qui y soit contraire.
Soit la naissance, par ce simple terme de “contraire”, d’une pensée qui, pour être valable et valide, ne doit souffrir aucune contrariété. Ou plutôt : soit la naissance d’une pensée qui, pour être correcte, doit à la fois faire exister et rejeter, en dehors d’elle, toute forme de fausseté, de conflit, d’invraisemblance. D’opposition.
C’est ainsi tout le paradoxe de l’opposition : elle n’existe pas sans son contraire, par elle-même. Et un pro- a tout autant besoin d’un anti-, qu’un anti- a donc besoin d’un pro. Mais qu’en est-il quand il n’y a que des anti ou qu’on se laisse à penser que la seule manière de critiquer n’est que l'opposition ?
Anti- et après ?
Comment faire autrement quand Aristote nous dit que la contrariété est le contraire de la pensée logique ? Et comment penser autrement : imaginez un pur anti-, que peut-il défendre positivement ? peut-on attendre d’un anti- qu’il ait une pensée pleine, optimiste, consensuelle ? un anti- peut-il être pro-qqch sous peine de ne plus être anti- et de perdre sa valeur subversive ?
C’est là le problème : de la même manière qu’une pensée correcte a besoin de l’inexact pour être correcte, un anti- a besoin de ce contre quoi il se bat pour exister. Il n’est pas stérile, il donne vie, et contre toute attente, à ce qu’il ne valide pas. C’est d’ailleurs plus qu'un problème, un drame. Il existe pour faire exister une chose dont il dénie pourtant l’existence.
L’enjeu ne concerne donc pas l'omniprésence des anti- ou leur augmentation supposée, il n’y aura jamais que des anti- (ceux-ci ayant toujours besoin d’autre chose qu’eux-mêmes pour être précisément anti-…) et l’enjeu ne concerne pas non plus la dérive d’un espace public devenu champ de bataille, clivant ou agonistique, comme on dit…
Non : il faudrait plutôt s’inquiéter de l’opposition elle-même. A quel moment peut-elle devenir autre chose qu’elle-même, à savoir pas simplement opposé, anti ? à quel moment justement devient-on vraiment anti-binaire ?
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