Le bienfait du ghosting

View from above shadow of couple holding hands
View from above shadow of couple holding hands ©Getty -  Malte Mueller
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Unanimement condamné, le ghosting, ou le fait d'interrompre une relation brutalement, sans donner de raisons ni de nouvelles, ne présente-t-il aucun bienfait ?

Déjà 15 ans, à peu près, que le ghosting est apparu aux Etats-Unis et 5 ans qu’il a fait son entrée dans le dictionnaire anglais le Collins. Le ghosting ou le fait de mettre fin à une relation amoureuse, mais aussi amicale ou familiale, et désormais professionnelle (c’est la nouveauté 2020), en ne donnant plus aucune nouvelle à la personne concernée. Rien, plus de réponses, plus d’appels. 

Depuis quelques années, entre les rencontres en ligne et l’usage des messageries instantanées, le phénomène s’est popularisé, et désormais, si vous êtes victime de ghosting, vous pouvez vous rassurer en allant fureter sur les dizaines d’articles pour savoir comment réagir. Mais qu’en est-il si vous êtes vous-même le ghosteur ? Faut-il savoir comment réagir si on décide soi-même de disparaître sans raison ? 

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L'éclat de la disparition

Dans son livre paru en 2018, Rupture(s), la philosophe Claire Marin évoque le ghosting comme le nouveau nom que l’on donne aujourd’hui, je cite, à “une vieille lâcheté”, où l’on ne rompt plus, mais où on “joue aux fantômes” et on se “contente de disparaître”. De fait, le ghosting est une pratique unanimement condamnée et quiconque l’a vécu a de quoi devenir fou. 

L’absence d’explications, de signes de vie, et tout simplement, l’expérience de l’absence en tant que telle, brute, sans aucun angle arrondi, pourrait livrer n’importe qui au désespoir. Pourtant, cette condamnation unanime empêche de voir le bienfait de cet acte dégoûtant, l’éclat de cette disparition : l’indépendance dont chacun peut faire preuve, sans avoir à se justifier et sans imposer à l’autre des arguments fumeux. 

On parle de lâcheté, mais paradoxalement, n’y a-t-il pas plutôt une forme de courage à se passer du regard de l’autre, à prendre le risque et à assumer même d’être désapprouvé, haï ? N’y a-t-il pas aussi une forme d’honnêteté vis-à-vis de soi et de la personne quittée : non, je te quitte et je n’ai rien à en dire, ni banalités ni monstruosités ? 

Déraison et injustice

Ce n'est pas que je pratique le ghosting tous les jours ni que j’ai apprécié les fois où ça m’est arrivé (ça m’arrive d’ailleurs en ce moment où j’attends depuis 1 an et demi des nouvelles de la marraine de ma fille). Mais je dois dire qu’il y a une libération dans ce simple fait de disparaître, sans crier gare, sans devoir rien à personne, sans tenter de trouver en soi, par une introspection longue et pénible, les raisons, souvent indicibles ou fabriquées, de l’ennui et du désamour. 

On parle beaucoup de la violence du ghosting, de la violence, autrement dit, de la manière, de la forme, mais la violence n’est-elle pas dans la rupture elle-même, dans le fond de l’affaire ? Pourquoi faudrait-il adoucir les angles et trouver des explications ? Que peut-on justifier, c’est-à-dire rendre juste, que peut-on raisonner, c’est-à-dire rendre raisonnable, dans ce qui dépasse l’entendement et la justice ? 

L'ère du soupçon

Ca n’enlève rien au fait que, de toute façon, vous passerez pour le salaud, alors pourquoi devrait-on rendre les choses propres ? Au fond, le problème est là : pas dans le fait qu’il y ait des règles, des usages, de la politesse, du respect, et qu’on les bafoue, mais dans cette idée que tout, même le pire, à savoir rompre, disparaître, anéantir une relation, doive avoir une raison, une cause, une justification, une explication, et se laver ainsi de tout soupçon.

Bizarrement, l’ère du soupçon qui ne se nourrit que de ça, ne supporte pourtant pas qu’il en reste… et le ghosting, disons-le, a quelque chose de la cancel culture à une échelle intime, sauf que cette fois-ci, c’est vous qui vous annulez et sans avoir à vous justifier.