Les livres ne sont pas essentiels

Livre qui ne m'a pas été essentiel pour cette chronique (mais que j'aime bien)
Livre qui ne m'a pas été essentiel pour cette chronique (mais que j'aime bien) - GMS
Livre qui ne m'a pas été essentiel pour cette chronique (mais que j'aime bien) - GMS
Livre qui ne m'a pas été essentiel pour cette chronique (mais que j'aime bien) - GMS
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... et ils ne sont pas non plus non-essentiels. Pourquoi ne pas trouver d'autres termes pour qualifier les livres ?

Je l’avoue : cette chronique ne serait pas la même sans les livres. C’est ainsi que je pourrais, dans les minutes qui viennent, rendre hommage à tel écrivain ou tel philosophe. Je pourrais aussi imaginer une chronique sans livres où je serais obligée d’avoir une idée par moi-même et même d'écrire une citation ! L’enfer. 

Ou alors, je pourrais imaginer un monde sans livres, et faire référence à la dystopie Fahrenheit 451, ou faire l’éloge des milliers de monde que représente chaque livre ouvert. Sans oublier de finir sur l’idée que le livre est un bien essentiel, tout comme les pâtes et le papier toilette. 

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Le tout avec des citations du Plaisir du texte de Roland Barthes pour vanter le goût de la lecture, comme par exemple cette phrase : 

“Ce que je goûte dans un récit, ce n'est pas directement son contenu ni même sa structure, mais plutôt les éraflures que j'impose à la belle enveloppe : je cours, je saute, je lève la tête, je replonge”. 

Je le pourrais. Mais non. Car, pardon, et je ne le dis pas aussi bien que Roland Barthes, les livres, je les cours, je les saute, j’en lève la tête, et ça, plus souvent que je ne m’y replonge.
Je dois le reconnaître : oui, j’ai du mal à commencer un livre, à le finir, oui, je m’endors souvent en lisant, et quand je ne m’endors pas : soit je n’arrive pas à me mettre à la place du narrateur (je ne parviens pas à me figurer l’intrigue, sinon un enchaînement de mots sur une page blanche), soit, au contraire, je trouve tout trop parfait (le ton, le propos, la situation), et mon imagination se voit comme raccourcie, frustrée, par celle d’un autre. 

Essentiel Vs. accessoire

C’est tout le paradoxe pour moi du livre : le fait qu’il soit essentiel, ou en tout cas présenté comme tel, me prive du plaisir, accessoire, accidentel, particulier d’y goûter. 

Rien de pire que les “classiques”, qui en imposent et vous écrasent, rien de pire aussi que ces livres tant aimés et auxquels vous n’avez rien compris… ces textes que vous trouvez sublimes, sur le papier, mais dont la lecture a été concrètement un calvaire… sans parler de tous ces livres qui paraissent, rentrées littéraires après rentrées littéraires, et qui vous rappellent combien de choses vous échappent. Ou encore, ces questionnaires où l’on vous demande avec quel livre vous pourriez partir sur une île déserte, où il s’agit de synthétiser l’impossible posture et réel plaisir de lecture. 

Faites d’un objet une chose essentielle, nécessaire, obligée, et vous supprimez l'idée de choix et un certain nombre de possibilités d’en jouir, adieu les heureuses surprises ou les grandes déceptions avouables.
C’est, je crois, le problème de transformer le livre en bien essentiel : non pas de le comparer à d’autres biens marchands ou consommables, non pas de lui rendre hommage (au contraire), mais de l’essentialiser. 

Du bien essentiel à l'essentialisation

C'est le problème car en rendant essentiel, on essentialise, on pose une étiquette, on réduit le livre à une de ses dimensions, on ôte toute possibilité de ne pas être d’accord avec cette appréhension de l’objet-livre. 

Contre toute attente, je crois que la meilleure défense, ce n’est pas la défense ni l’attaque des livres, ce n’est ni de les sacraliser ni de les minimiser, mais de cesser de les penser comme des êtres dont le statut serait définitivement indiscutable. 

En fait, je crois qu’il faudrait inventer un autre mot, un autre statut pour définir les livres, pour les approcher, pour les penser, autre qu’“essentiel” ou “non-essentiel”, ça doit bien exister, un auteur a bien dû y penser… mais, hélas pour moi, ça doit encore être dans un livre que je n’ai pas lu !