

Pourquoi l'idée qu'on ne puisse jamais vouloir d'enfant est-elle si peu entendue ?
L'adoption en 1ère lecture de l'allongement légal de l'IVG, la semaine dernière, a eu quelques retentissements grâce à la prise de parole, notamment, de la députée La République En Marche des Yvelines, Aurore Bergé, qui a beaucoup tourné sur les réseaux.
Applaudie au-delà de son propre parti (et j’imagine, détestée par les anti-IVG de tout bord), elle a mis le doigt sur un point qui m’a toujours interpellée, et qui apparaît toujours, en creux, lorsque l’on parle avortement : la possibilité qu’une femme n’ait pas envie d’être mère non pas seulement à un moment donné mais de manière définitive, possibilité trop peu entendue, trop peu dite, et qui passe au contraire pour impossible.
Certes, il est possible d’avorter dans notre pays, mais non sans entraves médicales, comme le dit Aurore Bergé, et non sans entraves morales, toujours en nous rappelant qu’un jour, peut-être, on le regrettera.
Certes, on peut défendre l’IVG mais ne pas saisir le refus catégorique d’être mère un jour. D’où ma question : en quoi ne jamais vouloir d’enfant est-il encore un problème ?
La vie
Passé 30 ans, quand on n’a pas d’enfant, et je ne crois pas tomber dans la caricature, toutes les femmes se voient poser cette question par des amis, leur gynécologue ou leurs mères : “et les enfants ?”. Cette question s’arrête, j’en témoigne, quand on en a 1. Donc, déjà, pourquoi “des” enfants, pourquoi le pluriel ? Mais avant cela même : pourquoi un enfant ?
J’ai essayé de résoudre ce mystère : pourquoi avoir un enfant est-il vu comme un passage obligé (et pas forcément désiré, entre 20 et 40 ans) dans la vie d’une femme ? Est-ce justement une question de vie : parce que l’enfant serait l’essence même de la vie ? parce qu’il faudrait bien se servir de son utérus, c’est-à-dire de sa vie organique ? parce qu’on raterait quelque chose dans sa vie et de ce que serait une bonne vie ?
Ce qui est frappant avec la question d’avoir un enfant ou pas, c’est qu’elle mobilise donc d’emblée la “vie”, cette notion vague mais pourtant sacralisée (et même sans être pro-vie), qui va du biologique à la morale….
Comme si ne pas enfanter reviendrait à moins vivre sa vie, ou à ne pas accomplir voire augmenter la sensation ou le sentiment vital.
C’est fou, parce que je croyais que vivre était déjà en soi un absolu… mais j’ai découvert que, pour la plupart d’entre nous, la vie sans enfant manquerait toutefois quelque chose.
Et je me demande : mais alors quoi ?
Les raisons de l'enfant
Pourquoi avoir fait un enfant ? pour éviter les questions et les regrets ? pour être sûre d’avoir tout vécu (pourtant, on ne peut pas tout vivre : je ne suis pas Johnny Hallyday, je n’ai pas fait le stade de France, je ne connaîtrais donc jamais cette sensation) ?
Ou alors, pour être sûre d’avoir vécu tout ce que je pouvais vivre (pourtant, je ne sauterais jamais en parachute, par exemple), pour être sûre de ne rien manquer ?
Mais, et c’est tout le problème : qu’est-ce qui pouvait me manquer si je ne l’avais pourtant pas encore vécu ni connu, si je n’en avais pas une toute petite idée (et que personne d’ailleurs ne pouvait en avoir une idée à ma place) ? pourquoi je devais, dès 30 ans, anticiper les regrets que j’aurais peut-être eu à 50 ans ? pourquoi cette idée d’une vie pleinement vécue, sans manques, sans regrets ?
Il y a dans cette pression d’avoir un enfant quelque chose qui ressort, en fait, de cette idée pourtant rebattue de Simone de Beauvoir : le fait qu’il existe non pas seulement une vie de femme, mais plus que cela : un destin féminin, tracé, complet, parfait.
Souvenez-vous ce qu’elle disait :
“On ne naît pas femme : on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine”.
Et j’ajouterais avec elle : “aucun destin biologique, psychique ou économique ne définit la vie que devrait vivre au sein de la société la femelle humaine”.
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