

Repliés sur nous-mêmes, en manque de relations sociales, nos vies sont-elles asséchées ? Et s'assécher, est-ce si grave ?
Parfois, vous ne savez pas pourquoi mais un mot que n’entendez presque jamais revient plusieurs fois dans la même journée. C’est ce qui m’est arrivé hier avec le mot “assèchement”.
Et par 3 fois : lors d’une réunion virtuelle entre les émissions et la direction de France Culture, lors d’une conversation avec des amis, et à la pharmacie alors que je cherchais une crème pour les mains.
Et il n’y a pas à dire : la période brille indéniablement sous le signe de l’assèchement. Repliés sur nous, en manque de nourritures spirituelles, notre cerveau s’atrophie, nos discussions s’épuisent, nos relations s’appauvrissent.
Pas de doutes, nos vies ressemblent à nos mains usées par le gel hydroalcoolique.
Moins souples, plus rêches, moins douces, plus irritables : tout comme la sécheresse cutanée favorise les sensations d’inconfort, de tiraillements voire de démangeaisons ou de brûlures, la sécheresse sociale irrite, tiraille et démange.
La solution semble pourtant simple : il suffit de s’hydrater ! Crème, masque, huile, tout sera bon pour calmer la soif de votre peau, tant que c’est gras… mais dans le cas d’une vie asséchée, comment procéder ?
L'eau et les rêves
J’ai une solution : envisager autrement l’assèchement. L’assèchement, pour rappel, est l’action d’assécher, soit de mettre à sec, en privant d’eau.
Ce qui est ainsi frappant avec l’assèchement, c’est qu’il résonne d’emblée comme une privation, et pas n’importe laquelle : celle de l’eau, vive, vitale, qui étanche les soifs et régénère les organismes.
Personne n’aime avoir la gorge sèche, et j’imagine que le philosophe Gaston Bachelard non plus… à qui l’on doit L’eau et les rêves, un Essai sur l’imagination de la matière, qu’il ouvrait avec ces mots :
“Mon plaisir est de marcher dans le sens de l’eau qui coule, de l’eau qui mène la vie ailleurs, au village voisin. Mon « ailleurs » ne va pas plus loin. Car en ce qui touche ma rêverie, ce n’est pas l’infini que je trouve dans les eaux, c’est la profondeur.”
Bref, l’idée est claire : le sec n’évoque pas seulement le nerveux, l’osseux, le non-moelleux, l’abrupt, le rude, le manque de chair ou de douceur, il n’a en plus aucun ailleurs, aucune profondeur, aucun chemin.
Un ton sec, du pain sec, un coup sec, un cœur sec ne mènent à rien d’autre qu’à eux-mêmes, tout en surface et sur place. Rien ne donne envie et rien n’est à sauver dans ce qui est sec…
Biscuit ou brioche ?
Toutefois, je repense souvent à cet échange que j’ai eu à propos de gâteaux : comment peut-on préférer un biscuit sec à une brioche moelleuse ?
Et contre toute attente, il y a en fait beaucoup plus de partisans du biscuit sec qu’on ne le pense, car le sec n’est alors pas, selon eux, ce qui casse, mais ce qui croustille, ce qui se croque… quand, toujours selon eux, la brioche étouffe, remplit.
C’est une anecdote, mais le paradoxe est là : ce qui est à la fois repoussant et plaisant dans le sec, c’est qu’il n’est presque plus rien, mais qu’il est quand même quelque chose : ce qui reste quand on a tout enlevé, la vitalité, l’enrobant, la matière, la profondeur et l’ailleurs.
L’assèchement, et c’est bien le problème avec lui, ne révèle pas assez qu’il dévoile une chose essentielle : l’essence d’une chose, justement, son principe premier, dans toute sa force et sa fragilité, dans toute sa dureté et sa légèreté.
Et si, malgré tout, le sec était bien ce qui pouvait casser et être cassant, mais ne cassait jamais ?
Et si l’assèchement provoqué par la pandémie, nous prouvait, malgré tout, qu’on pouvait encore témoigner de notre résistance et de notre présence ?
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