Rire est-il drôle ?

Pas très drôle
Pas très drôle ©Getty - CSA Images
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On pose souvent la question : peut-on rire de tout ? Et si la question était plutôt : tout le monde est-il drôle ?

Les audiences radio sont tombées hier. Autant dire qu’on est plus que ravis à France Culture, vous êtes de plus en plus nombreux à nous écouter... C’est une joie !
Pour ma part, j’ai remarqué une chose que j’avais manquée depuis plusieurs vagues Médiamétrie : on a même dépassé Rires et chansons. 

J’ai longtemps cru que Rires et chansons était pourtant indépassable : quoi de plus attractif que d’écouter des tubes et surtout que... de rire ?
Le rire, c’est une valeur sûre, un basique, un indémodable, et je ne crois pas prendre beaucoup de risques en l’affirmant : tout le monde aime rire. 

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Pourtant, je me demande si l’inverse est vraiment valable : le rire aime-t-il vraiment tout le monde ?
Pensez-y, il n’y a rien de moins drôle qu’une personne qui veut à tout prix vous faire rire, ou qui répète sa blague pour être sûr, ou pire, qui vous explique sa blague pour être encore plus sûr, ou pire encore, qui tient à vous démontrer ce qu’est une bonne blague. Et c’est ainsi que, bizarrement, le rire devient parfois, mais assurément, la chose la moins drôle du monde… 

Philosophes pas très rigolos

Ecoutez ceux qui ont parlé du rire : 

-Spinoza, dans l’Ethique, livre 4, proposition 45 : 

“Le rire est une pure joie, et pourvu qu’il soit sans excès, il est bon par lui-même”. 

Pertinent, mais pas très drôle. 

-Bergson, à qui l’on doit un essai sur la signification du comique, sobrement intitulé Le rire

“Pour comprendre le rire, il faut surtout en déterminer la fonction utile, qui est une fonction sociale.”

-et enfin, Nietzsche, § 294 de Par-delà bien et mal, qui, lui, envisageait : “d’établir une hiérarchie des philosophes d’après la qualité de leurs rires... défi, qu’il a reconnu lui-même, assez compliqué à relever. 

Remède à l’usage modéré, fonction sociale ou qualité difficile à déterminer, le rire a ceci de particulier qu’il a beau être recommandé, il ne se commande pas.
On a beau vouloir être un philosophe rigolo, on a beau analyser ce qu’est le risible, comme Bergson, on a beau vouloir être joyeux, comme Spinoza, au mieux, on obtiendra un sourire, au pire, un hochement de tête.
Mais presque jamais, je cite, des “éclats de rire dorés” (c’est une expression de Nietzsche que je ne m’explique pas, pourquoi ses éclats de rire sont dorés)… 

Mais bref, voilà le paradoxe du rire : tout le monde le veut mais il ne se donne pas comme ça, et parfois même il ne se donne pas du tout. Et plus on le veut, plus il en devient lourd et pathétique. 

Quand le rire devient risible

Au risque de vous choquer, je ne ris pas trop devant un film de Chaplin. Mais vous avez raison, en cherchant à rire, on peut bien trouver… et vous avez raison, en citant Spinoza, Bergson et Nietzsche, il y avait peu de chances qu’on ait des fous rires, leur but n’étant d’ailleurs pas celui-ci. 

Mais justement : ils auraient pu être drôles précisément parce qu’ils ne cherchaient pas à l’être. Quand ceux qui tentent de le faire volontairement, par exemple sur scène, dans des sketchs, dans des comédies, prennent le risque vertigineux de ne pas l’être du tout. 

Je dirais d’ailleurs que c’est ça le problème : en prenant le risque du rire, on prend le risque de le rendre non seulement pas très drôle (ce qui serait quand même cocasse mais pas si inédit que ça), mais surtout infiniment triste (ce qui pour le coup est beaucoup plus rare), et même de le rendre carrément risible.
Avouez que pour le coup, ça en deviendrait drôle, et ça l’est d’ailleurs : que celui qui n’a jamais ri d’une personne essayant mais échouant à le faire rire, lui jette sa 1ère blague.