Un mois dans mon odeur

Rare image d'une personne aimant renifler sa propre odeur
Rare image d'une personne aimant renifler sa propre odeur ©Getty -  SCIENCE PHOTO LIBRARY
Rare image d'une personne aimant renifler sa propre odeur ©Getty - SCIENCE PHOTO LIBRARY
Rare image d'une personne aimant renifler sa propre odeur ©Getty - SCIENCE PHOTO LIBRARY
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Si on n'a plus rien à toucher (gestes barrières obligent), si on n'a plus rien à voir (du moins pas plus loin que son salon), si on n'a plus rien à goûter (restaurants toujours fermés), y a-t-il quelque chose à sentir si ce n'est sa propre odeur ?

Depuis le début de la pandémie, on parle beaucoup du nez. C’est ce nez qui ne sent plus aucune odeur et qui nous révèle que nous sommes atteints du covid, c’est ce nez qui coule et qui nous inquiète plus que de raison, et bien sûr, c’est ce nez qu’on ne supporte plus de voir dépasser au-dessus d’un masque. 

Pour ma part, je n’avais jamais vraiment fait attention à mon nez, mais voilà que depuis mars, celui-là a pris une place considérable… Tout le problème étant que depuis ce même moment, je n’en fais pourtant pas grand chose de ce nez.
Ce n’est pas seulement que je ne touche personne, qu’il n’y a plus rien à voir ni à goûter ou que je n’entends plus que les bruits des voisins d’à côté, c’est aussi qu’il n’y a rien à sentir… ou presque. 

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Un mois que je suis confinée dans ma propre odeur, rendez-vous compte. Un mois avec moi-même, sans parler des semaines d’avant, les narines enfouies avec moi-même dans un masque.
Fallait-il que je ne voie pas plus loin que le bout de mon nez pour ne plus me sentir ?

Ce moment où vous respirez vos vêtements

Quand on y pense, n’est-ce pas déjà remarquable d'avoir remarqué mon odeur ? Car qui, avant le port du masque et avant tout confinement, pouvait prétendre savoir non pas à quoi il ressemblait mais à quoi il sentait ? 

De la même manière que la vue ne permet pas de se voir directement, ou que l’ouïe ne permet pas de s’entendre distinctement, notre odorat tout pétri de nos effluves, nous y rend complètement insensibles. 

Rien de très original comme paradoxe, mais c’est toujours bon de le rappeler : en termes de sens, on n’est rarement bien servis par soi-même.
Pensez, par exemple, à ce moment où vous vous êtes soudain découvert au détour d’un miroir, ou à ce moment où vous vous êtes entendu parler pour la 1ère fois. 

Eh bien, c’est la même chose avec l’odorat… c’est ce moment où vous rentrez chez vous après une journée passée dehors, ce moment où vous respirez un de vos vêtements alors que vous êtes au travail. Tout à coup, vous vous rendez compte que c’est à ça que vous ressemblez olfactivement. Et puis, vous oubliez. 

Votre odorat prend le dessus sur votre odeur et vous ne vous sentez plus. Mais imaginez que vous n’oubliez jamais, que vous ne VOUS oubliez jamais et que votre odeur ne cesse de se rappeler à vous ? 

"Mon génie est dans mes narines"

C'est tout le problème : à force de se sentir, on ne peut plus se sentir non plus, mais dans un autre sens… vous avez compris, autrement dit : à force de se respirer, on ne peut plus se supporter.  

En 2010, la philosophe Chantal Jaquet avait publié une Philosophie de l’odorat, un livre extra qui entendait réhabiliter le flair comme un véritable instrument de connaissance. Figure incontournable : Nietzsche à qui l’on doit cette belle et grande déclaration dans Ecce Homo : “Mon génie est dans mes narines”. 

Je dois dire que ce n’est pas faux, les narines ont vraiment du génie : jamais je n’aurais cru mon nez capable de pouvoir distinguer l’odeur de ma chambre de celle du bureau, le coin télé du coin bibliothèque, tout cela étant à peu près, chez moi, dans la même pièce. Sauf que Nietzsche parlait, pour sa part, de l’odeur de la vérité et pas de son coin télé. 

Mais moi, qu’ai-je appris sur moi grâce à mon nez, qu’ai-je appris de véritable si ce n’est l’odeur de ma bave sur mon masque, les parfums du renfermé ou les senteurs de mon canapé ? Peut-être cela : l’air pur a parfois quelque chose d’irrespirable.