Entre relâchement et dernier effort, à quoi sert un vendredi ?
Bizarrement, malgré l’impression d’être dans “Un jour sans fin”, le film où Bill Murray revit inlassablement le même jour jusqu’à conclure avec Andie McDowell, ou la sensation de lire, depuis le 16 mars, Différence et répétition de Gilles Deleuze, il y a des repères temporels qui ont la peau dure.
Un dimanche soir reste un dimanche soir, autrement dit une soirée de déprime ; l’apéro se prend encore aux alentours de 18h (si j’en crois les motifs du couvre-feu instauré à cette heure-là) ; et le vendredi est toujours le dernier jour d’une semaine travaillée.
Soit le jour où on est encore au travail mais déjà dans le relâchement. Le jour où on télétravaille, où on quitte le bureau vers 16h, où certains s’habillent mal au nom d’une tradition qui n’en est pas une en France, le Friday wear.
C’est déjà le début du week-end, c’est peut-être son meilleur moment, celui où on rêve de tout ce qu’on n’aura pas à faire mais aussi aux possibilités prodigieuses qui s’offrent à nous (mais qu’on n’accomplira pas non plus, soyons honnêtes).
Pourtant, il faut le reconnaître : le vendredi reste malgré tout un jour de travail, le dernier, l’ultime, et peut-être, celui de trop ?
"De trop"
C’est ce que je me suis demandée hier soir, alors que je me disais qu’enfin, on y était, à la fin de cette semaine, que demain, aujourd’hui donc, tout le poids des jours passés commencerait à s’envoler, que mon téléphone afficherait une alarme dans plus de 48 heures, qu’il me resterait quand même un effort à fournir, trois-quatre trucs à faire, mais que pour le reste, on pourrait voir… plus tard.
Au point que cette question a donc surgi : mais à quoi peut bien servir un vendredi s’il n’est là que pour en finir avec les jours précédents et pour vite se projeter dans un “plus tard” ? s’il n’est là que pour nous achever mais pas encore pour nous reposer ?
Et voilà comment j’en suis venue à ça : le vendredi est-il le jour de trop ? Est-il comme ce mot “de trop” qu’on regrette d’avoir prononcé, comme ce verre qui nous tape encore la tête le lendemain matin, ou cette goutte qui fait déborder le vase ?
Le paradoxe de ce qui est “de trop”, comme un verre ou un vendredi : c’est qu’il faut pourtant bien le vivre, avoir été ivre ou épuisé, pour se rendre compte qu’il est précisément de trop, inutile, superflu, et même gênant.
Trouver le juste milie
Alors, c’est vrai : c’est plus facile de se passer d’un verre d’alcool que de rayer le vendredi des calendriers. Et il y a effectivement une différence à faire entre un comportement qui est excessif et une journée de la semaine qui n’existe que par défaut. Mais on en revient au même : comment mesurer qu’une chose est “de trop” sans l’évaluer ni l’éprouver ?
Et c’est là où j’avoue que je n’ai jamais compris l’idée d’Aristote de “juste milieu”. Dans son Ethique à Nicomaque, il déclare :
“Quiconque s’y connaît fuit l’excès et le défaut. Il cherche au contraire le milieu et c’est lui qu’il prend pour objectif. Et ce milieu n’est pas celui de la chose, mais celui qui se détermine relativement à nous”.
Sur le papier, je suis d’accord, la prudence voudrait qu’on ne soit ni en avant ni en retrait, ni dans le “trop” ni dans le “pas assez” mais entre les deux. Mais comment déterminer ce milieu par rapport à nous sans l’expérimenter par soi-même ?
C’est le problème : je ne peux pas m’y connaître, comme dit Aristote, et chercher le juste milieu si je n’ai pas connu l’excès… et je ne pourrais donc pas vous affirmer que le vendredi est le jour de trop si je ne l’expérimentais pas chaque semaine de toute ma vie.
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