Et depuis le 17 mars 2020, c'est plutôt une année "sans".
Je ne prétends pas avoir tout entendu à propos de cette année sous covid, mais entre le télétravail, les enfants, les masques, les coudes, l’amour, la solidarité, l’enfermement, l’espace, le temps, la liberté, l’incertitude, l’ennui, la déprime, l’apéro, le manque de fêtes ou la joie d’être en pyjama… j’ai beau chercher, je ne vois pas quoi rajouter.
Je pourrais vous raconter ce que ça m’a fait de fermer la porte de chez moi le mardi 17 mars 2020 pour ne l’ouvrir que deux mois plus tard. Mais bon. En fait, je crois que je préfère vous parler d’un autre mardi : du mardi 16 mars 2021, c’est-à-dire… d’hier, et de ce que ça m’a fait de manger, pour la 1ère fois en un an, un riz au lait à la cantine de RadioFrance.
Je sais bien qu’en prononçant ce mot de “riz au lait”, je prends des risques, c’est un dessert qui divise, un dessert clivant. Hervé Gardette m’a confié être dégoûté par son côté gluant. Tant pis pour lui car ce banal riz au lait, moment d’émerveillement lacté pour ma part, m’a fait prendre conscience d’une chose qu’on sait déjà tous, c’est vrai : le fait que cette année a été placée sous le signe du “sans” (S.A.N.S.)...
Sans moyens, sans contact, sans réponses, sans annonces, sans vaccins, sans masques, sans cinéma, sans riz au lait, sans cantine… et cela même si certains ont décidé de se convertir à la permaculture ou au pain pour combler tout ça.
D’où mon impasse initiale : non pas que dire, mais que rajouter à propos d’une période “sans” ?
Y a des jours et des jours...
J’ai pensé à cette expression qu’on dit souvent : “y a des jours avec, et des jours sans”. Que dire alors non pas d’une journée sans, mais de 12 mois sans ? Et puis sans quoi précisément ? C’est ce qui est frappant avec cette tournure, c’est qu’elle fait exactement ce qu’on ne fait jamais : elle ne fait suivre de rien la préposition “sans”. Y a des jours sans, point à la ligne. Mais sans quoi ?
Sans fin, sans queue ni tête, sans titre, sans plomb, sans conteste ? Quand on manque de quelque chose, c’est bien qu’on manque de quelque chose, mais quand on passe une journée sans, ou dans notre cas, une année sans, que nous manque-t-il ?
Je suis sûre que vous allez me trouver plein de réponses : il nous a tout manqué. Pour autant, on ne peut pas dire non plus que c’était une année sans rien. Au contraire. Il s’est passé tellement de choses. Et c’est bien le paradoxe depuis le 17 mars 2020, c’était une année sans mais pas sans rien.
Sans mais pas sans rien
Cette année, en fait, a été une année "sans", tout court. Et c’est ce qui rend cette année si fascinante, alors même qu’on a si peu de choses à en dire de plus : elle permet de poser cette question du “sans”.
Que faire d’une année sans où on a fait avec, comme on dit ? d’une année de manque où il ne s’est pas rien passé non plus ? De quoi est fait le “sans” ? Qu’est-ce qui constitue le “sans” ? Est-ce qu’il a une forme de positivité, est-ce qu'il a du sens ?
Alors, c’est vrai, Spinoza dit dans son Ethique :
« Le désir est un appétit dont on a conscience. »
C’est peut-être ça d’ailleurs le sens du “sans” : nous faire comprendre, à force de répéter qu’on n’en peut plus de vivre “sans”, nous permettre de prendre conscience de ce qui nous donne habituellement de l’appétit sans pourtant en avoir habituellement conscience. Qu’il s’agisse d’un riz au lait à la cantine ou d’une soirée après 18h.
Mais peut-on se satisfaire d’avoir pris conscience de ces appétits qui nous portaient, juste parce qu’on n’a pas pu les satisfaire, juste (entre guillemets) à cause d’une pandémie ? Non.
Et c’est ça le problème de cette année et ce que j’ai à ajouter : elle nous a peut-être fait réaliser ce qu’était le désir, mais sans jamais nous permettre non plus de le réaliser.
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